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nulle ressource qu’au moment de cette délivrance. Je répondis à cette confidence qu’il étoit fort heureux pour Mme la duchesse d’Orléans qu’elle n’eût pas réussi, et que la tendresse du roi eût trouvé sa sagesse à l’épreuve ; que Mme d’Argenton arrachée par autorité à M. le duc d’Orléans, l’eût, et par amour et peut-être autant par orgueil, irrité jusqu’à le jeter dans les dernières extrémités ; que bien difficilement en eût-il cru Mme sa femme innocente ; que ce soupçon, une fois monté dans son esprit, eût fait la ruine de sa famille, et de Mme la duchesse d’Orléans la plus malheureuse princesse de l’Europe. De là, la duchesse de Villeroy me vanta Mme la duchesse d’Orléans, son esprit, sa prudence, sa solidité, la sûreté de son amitié, la reconnoissance qu’elle me devoit et qu’elle sentiroit tout entière, et m’invita fort à une grande liaison avec elle.

Je répondis à tout cela par tous les compliments qui étoient lors de saison. Je la priai de lui dire que, dans le désir où j’étois de parvenir à séparer M. le duc d’Orléans de Mme d’Argenton, j’aurois cru diminuer beaucoup les forces dont j’avois besoin si, en répondant aux avances qu’elle avoit bien voulu faire, j’avois eu l’honneur de la voir, que cette prudence étoit devenue un double bonheur par celui que j’avois eu de détromper à son égard M. le duc d’Orléans sur les choses secrètes (que je ne rapporte pas ici, et que j’avois confiées à la duchesse de Villeroy), lequel, malgré mes preuves, soupçonneux comme il étoit, n’auroit pu se rendre à la même confiance en moi, si j’avois été en mesure avec Mme sa femme, comme il avoit fait parce que je n’y étois en aucune ; que présentement qu’il n’y avoit plus d’équilibre à garder avec lui, comme j’avois fait jusqu’alors ne voyant ni Mme sa femme ni sa maîtresse, je ferois volontiers ma cour à la première et mettrois tous mes soins à continuer à travailler à une entière réunion ; mais que je croyois qu’il falloit aussi continuer d’user de la même prudence, qu’il n’étoit pas temps encore que j’eusse l’honneur de la voir, qu’il falloit