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lui promit enfin qu’il la verroit dans la journée, et lui diroit sa rupture. Cette complaisance me soulagea fort, dans les vues que j’ai expliquées. Il étoit midi et demi, nous le quittâmes, lui pour aller chez la duchesse de Ventadour, comme il en étoit convenu le matin avec Mme de Maintenon, nous pour prendre enfin haleine. Besons me dit en sortant qu’il n’en pouvoit plus, et qu’il s’en alloit à Paris se cacher au fond de sa maison pendant le premier éclat de la rupture, et se mettre à l’abri de toutes questions et de tous propos.

En le quittant dans la galerie de M. le duc d’Orléans, je m’en allai chez la duchesse de Villeroy, que je trouvai à sa toilette seule avec ses femmes. Dès en entrant je la priai de les renvoyer, liberté que je prenois souvent avec elle. Dès qu’elles furent sorties, je lui dis que l’affaire étoit faite. « Bon ; faite ! » me répondit-elle avec dédain, comprenant bien ce que je lui voulois dire, car je ne l’avois pas vue depuis notre souper l’avant-veille, je ne le croirai point qu’il n’ait parlé au roi. Il vous promettra, il n’en fera rien. Croyez-moi, ajouta-t-elle, vous êtes son ami, mais je le connois mieux que vous. — Avez-vous tout dit ? repris-je en souriant ; c’est qu’il a parlé ce matin à Mme de Maintenon et au roi, et que la rupture est bâclée. — Bon, monsieur ! me répondit-elle avec vivacité, il vous a peut-être dit qu’il le fera, et n’en fera rien. — Mais, répliquai-je, je vous dis encore un coup qu’il l’a fait, et que je sors d’avec lui. — Quoi, cela est fait ? dit-elle avec transport ; mais fait, achevé, rompu sans retour ? — Eh oui ! répliquai-je, madame, fait et archifoit. Je ne vous dis ni conjectures ni contes, je vous dis nettement que cela est fait. » Je ne vis jamais femme si aise, ni qui de joie eût plus de peine à se persuader ce qu’elle entendoit. Après cette sorte de désordre, elle me demanda fort comment cela s’étoit fait. Je lui contai le précis et le plus nécessaire de ce que je viens de rapporter, et des noms et des détails que j’ai cru devoir omettre ici, que j’estimai être importants à l’union que je désirois établir entre le mari et