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nous conçûmes que rien ne seroit plus utile à M. le duc d’Orléans qu’une liaison étroite avec Mme sa femme, tant pour lui fournir des amusements et de bons conseils chez lui que pour prendre le roi par un changement qui lui seroit si agréable. Dans un autre intervalle, nous pensâmes à nous-mêmes pour éviter la rage de la séquelle de Mme d’Argenton, de Mme la Duchesse et de la sienne, et de tous ceux qui seroient outrés de voir M. le duc d’Orléans rentré dans le bon chemin, dans l’estime du monde, dans les bonnes grâces du roi, et dans les suites que ces choses pourroient avoir.

Le maréchal me témoigna qu’il craignoit fort que nous ne fussions déjà découverts par le nombreux domestique qui nous avoit vus obséder M. le duc d’Orléans pendant ces trois jours, moi seul le premier, lui et moi les deux autres, à qui sans doute le trouble et la douleur de leur maître n’auroit pas échappé, et qui de cela voyant éclore la rupture, ne se méprendroient pas à nous l’attribuer, et par eux tout le monde. À cela il n’y avoit point de remède. Nous nous promîmes seulement de ne rien avouer, de nous taire, et de laisser dire ce que nous ne pourrions empêcher sans désavouer honteusement, mais gardant le silence. J’avois en particulier beaucoup d’ennemis à craindre, tous sûrement très-fâchés de voir revenir M. le duc d’Orléans dans l’état où il devoit être, surtout M. le Duc et Mme la Duchesse avec qui j’étois en rupture ouverte. Je craignois de plus, que si le roi venoit à découvrir la part que j’avois eue à la séparation de M. le duc d’Orléans d’avec sa maîtresse, un gré infructueux de vingt-quatre heures ne fût suivi du danger de me voir chargé des fautes qu’il pourroit faire à l’avenir, et de celles encore qu’on lui pourroit imposer, le raisonnement des tout-puissants de ce monde étant trop naturellement et trop coutumièrement celui-ci : que quand on a un assez grand crédit sur quelqu’un pour lui faire faire un grand pas contre son goût et contre ses habitudes, on en a assez aussi