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M. le duc d’Orléans nous dit qu’il venoit de rendre compte à Madame de ce qu’il avoit fait, qu’elle l’avoit fort approuvé, mais qu’elle l’avoit mis au désespoir par le mal qu’elle lui avoit dit de Mme d’Argenton. Il s’aigrit même en nous le racontant, et je m’en aigris avec lui, parce qu’à la misérable façon dont elle avoit toujours traité et ménagé cette maîtresse, ce n’étoit pas à elle à en dire du mal, beaucoup moins au moment de la rupture qui sont des instants à respecter par les plus sévères. Je me hasardai à lui demander s’il seroit incapable de dire à Mme sa femme une nouvelle qui la regardoit de si près ; mais à ce nom il s’emporta, dit qu’il ne la verroit au moins de toute la journée, qu’elle seroit trop aise, et que sa joie lui seroit insupportable. Je lui répondis modestement que, par tout ce que j’avois ouï dire d’elle, je la croyois incapable de tomber dans le même inconvénient de Madame, mais au contraire plus propre à entrer dans sa peine, par rapport à lui, qu’à lui montrer une joie indiscrète et fort déplacée. Il rejeta cela avec un si grand éloignement que je n’osai en dire davantage. Néanmoins, après quelque intervalle, je ramenai doucement ce propos sur le double plaisir que ce nouvel effort feroit au roi. Je ne réussis pas mieux. Il me ferma la bouche par me dire que ce chapitre avoit été traité le matin entre lui et Mme de Maintenon, qu’elle étoit entrée dans sa répugnance, et qu’elle lui avoit conseillé de ne voir Mme la duchesse d’Orléans de toute la journée, s’il ne vouloit, pour ne la pas voir à contre-cœur.

Je changeai de discours. Besons parla aussi, et nous ne cherchâmes pour le bien dire qu’à bavarder pour étourdir une douleur incapable encore de raison, plutôt par un bruit extérieur que par la solidité des choses. Quoique la porte fût défendue, il s’y présenta des gens que le renouvellement de l’année et la vacance de la fête y amenoit. Tels furent le premier président et les gens du roi du parlement et des autres compagnies supérieures, et quelques autres principaux magistrats,