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état si violent, nous contenions notre joie, nous n’osions nous parler, et à peine pouvions-nous nous persuader que cette rupture si salutaire fût achevée. Peu à peu pourtant nous rompîmes le silence entre nous. Le maréchal et moi nous nous mîmes à plaindre M. le duc d’Orléans, à louer son généreux effort, à chercher ainsi obliquement à le calmer un peu dans la violence de ces premiers moments. Ensuite nous nous encourageâmes, pour essayer un peu de diversion, à lui demander ce que Mme de Maintenon lui avoit dit. Il nous répondit que, mot pour mot, elle lui avoit tenu tous mes mêmes propos, et tellement les mêmes, en même ordre et en mêmes expressions, qu’il avoit cru qu’elle m’avoit parlé. Je le fis souvenir de ce que je lui avois dit et protesté là-dessus avec serment en allant à la messe du roi, et il me réitéra aussi qu’il ne lui en restoit pas le moindre scrupule, mais que cette singularité étoit si grande qu’il lui avoit été pardonnable de l’avoir pensé ; là-dessus Besons lui parla très-bien au même sens de ce qu’il m’en avoit dit.

Je crus que cette occasion étoit celle que je devois prendre pour lui faire la confidence de l’audience que j’attendois du roi, avec la franchise que Besons m’avoit conseillée. M. le duc d’Orléans la reçut à merveilles, et me dit même, avec une amitié dont la politesse me surprit en l’état où il étoit, qu’il souhaitoit d’avoir mis le roi d’assez bonne humeur, par ce qu’il venoit de lui dire, pour qu’il m’en écoutât plus favorablement. Nous le remîmes sur son audience de Mme de Maintenon. Il nous dit qu’elle avoit été extrêmement surprise de sa résolution et en même temps ravie ; qu’elle l’avoit assuré que cette démarche le remettroit avec le roi mieux que jamais ; qu’elle lui avoit conseillé de lui parler lui-même plutôt que de lui faire parler par elle ni par personne ; et qu’elle lui avoit promis de faire valoir au roi ce sacrifice, de manière à lui en ôter tout regret, et à faire que Mme d’Àrgenton fut traitée comme il le pouvoit souhaiter, et comme elle-même trouvoit juste qu’elle la