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par sa réponse. Il me dit de ce même ton qu’il n’irait pas. « Comment ! monsieur, m’écriai-je d’un air ferme, vous n’irez pas ? Eh ! non, monsieur, répliqua-t-il avec un soupir effroyable, tout est fait. Tout est fait ? repris-je vivement, comment l’entendez-vous ? tout est fait pour avoir parlé à Mme de Maintenon ? Eh ! non, dit-il, j’ai parlé au roi. — Au roi ! m’écriai-je, et lui avez-vous dit ce que vous lui vouliez dire tantôt ? — Oui, répondit-il, je lui [ai] tout dit. — Ah ! monsieur, m’écriai-je encore avec transport, cela est fait, que je vous aime ! et, me jetant à lui, que je suis aise de vous voir enfin délivré ; et comment avez-vous fait cela ? — Je me suis craint moi-même, me répondit-il. J’ai été si violemment agité depuis que j’ai eu parlé à Mme de Maintenon, que j’ai eu peur de me commettre à tout le temps de la matinée, et que, mon parti enfin bien pris, je me suis résolu de me hâter d’achever. Je suis rentré dans le cabinet du roi après la messe…. » Alors vaincu par sa douleur, sa voix s’étouffa, et il éclata en soupirs, en sanglots et en larmes. Je me retirai en un coin. Un moment après Besons entra ; le spectacle et le profond silence l’étonnèrent. Il baissa les yeux et n’avança que peu. Je lui fis des signes qu’il ne comprit point ; puis, se remettant un peu, me demanda des yeux ce que ce pouvoit être. Enfin nous nous approchâmes doucement l’un de l’autre, et je lui dis que c’en étoit fait, que M. le duc d’Orléans avoit vaincu, qu’il avoit parlé au roi.

Le maréchal fut si étourdi de surprise et de joie, qu’il en demeura quelques moments interdit et immobile ; puis se jetant à M. le duc d’Orléans, il le remercia, le félicita, et se mit à pleurer de joie. Cependant nous nous tûmes et laissâmes un assez long temps le silence au trouble de M. le duc d’Orléans, qui s’alla jeter dans un fauteuil, et qui, tantôt stupide, tantôt cruellement agité, ne s’exprimoit que par un silence farouche ou par un torrent de soupirs, de sanglots et de larmes, tandis qu’agités nous-mêmes et attendris d’un