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à tous moments une audience particulière du roi, dans une circonstance si propre à confirmer le soupçon que M. le duc d’Orléans venoit de me témoigner. Après y avoir bien pensé, la délicatesse d’honneur et de probité l’emporta en moi sur l’orgueil et la politique de courtisan, si difficile à se ployer à montrer sa disgrâce et ses démarches pour la finir, tellement que, bien que je n’eusse avant cette affaire-ci ni liaison ni même le plus léger commerce avec Besons, et qui n’avoit pas plus de douze jours de date, je crus devoir lui confier mon secret pour le consulter si je le révélerois à M. le duc d’Orléans ; je lui dis tout mon fait, et comme à tous moments j’attendois mon audience, mais sans lui apprendre comment je l’avois obtenue. La rondeur de ce procédé le surprit et le toucha. Il me conseilla d’en faire la confidence à M. le duc d’Orléans, et il m’assura que, quoi qu’il eût soupçonné, il me connoissoit trop bien pour, après ce que je lui avois dit et juré, penser un moment qu’entre le roi et moi il dût être en rien question de lui. Sur son avis je me déterminai à le faire. Après avoir été une demi-heure ensemble, quelqu’un vint demander Besons, qui sortit et me laissa seul dans le cabinet.

Fort peu après, comme j’étois seul encore, M. le duc d’Orléans entra, qui venoit de chez Madame, et qui tout de suite m’emmena dans son arrière-cabinet. Il se mit le dos à la cheminée sans proférer un mot, comme un homme hors de soi. Après l’avoir considéré un moment, je crus qu’il valoit mieux l’importuner par des questions que de le laisser ainsi à lui-même dans des moments critiques, qui avoient si grand besoin de soutien, puisque deux heures après arrivoit le moment qu’il devoit parler au roi pour se séparer de sa maîtresse. Je lui demandai donc s’il étoit bien content de Mme de Maintenon, et si elle étoit entrée véritablement dans ce qu’il lui avoit dit ; il me répondit un oui si bref, que je me hâtai de lui demander s’il n’étoit pas bien résolu d’aller chez le roi un peu avant son dîner ; il m’effraya beaucoup