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Louis XIV vouloit non-seulement conserver du crédit en Pologne, mais même donner pour successeur au roi Jean un prince dévoué à la France. Le prince s’étoit offert, et Louis XIV avoit chargé très-secrètement l’abbé de Polignac du soin de le faire élire, malgré la reine douairière [1], qui étoit Françoise, mais qui, comme de raison, favorisoit ses enfants, et en dépit de toute cabale contraire. L’abbé, tenant ses instructions bien secrètes, étoit arrivé à la cour de Sobieski un an avant sa mort. Il avoit enchanté tous les Polonois par la facilité avec laquelle il parloit latin. On l’auroit cru un envoyé de la cour d’Auguste, si on ne l’eût entendu parler françois avec la reine, qui se laissa séduire par sa figure et son esprit, mais qui ne pouvoit pas renoncer pour lui à l’intérêt de sa famille. Sobieski mourut, et la diète générale s’assembla pour lui choisir un successeur.

« L’éloquence de l’abbé de Polignac, les promesses et les espérances dont il leurra les Polonois, eurent d’abord tant de succès, qu’une bonne partie de la nation, ayant à sa tête le primat, proclama le prince de Conti ; mais, dans le même moment, les sommes qu’avoit répandues l’électeur de Saxe furent cause qu’il y eut une double élection, dans laquelle ce prince allemand fut élu. L’un et l’autre prétendant à la couronne arrivèrent pour soutenir leur parti, et continuèrent d’employer les moyens qui leur avoient d’abord réussi ; mais ceux de l’électeur étoient plus effectifs et plus solides : il avoit de l’argent et même des troupes. Au contraire, le prince de Conti, après avoir reçu les honneurs de roi à la cour de France, aborda sur un seul vaisseau françois à Dantzick, et y séjourna pendant six semaines, mais sans avoir d’autres moyens pour faire valoir la légitimité de son élection que la bonne mine et l’éloquence de l’abbé de Polignac. Ces ressources se trouvèrent bientôt épuisées ; le prince de Conti et l’abbé même furent contraints de revenir en France.

« Quoique l’on fut trop juste et trop éclairé à la cour de Louis XIV pour ne pas sentir que ce n’étoit pas la faute de l’ambassadeur si sa mission n’avoit pas eu un plus glorieux succès, il fut cependant exilé de la cour pendant quatre ans. Il employa ce temps utilement pour augmenter la masse de ses connoissances, qui étoit déjà si grande. Enfin, en 1702, il fut renvoyé à Rome en qualité d’auditeur de rote. Il y trouva de nouvelles occasions de briller et de se faire admirer, et en fut récompensé par la nomination du roi Jacques d’Angleterre au cardinalat.

« Il étoit prêt à en jouir lorsqu’il fut rappelé à la cour de France dans des circonstances très-critiques. En 1710, on l’obligea de se rendre, avec le maréchal d’Huxelles, à Gertruydemberg, chargé de

  1. Fille du marquis d’Arquien.