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les plus fades dans la bouche d’un autre, trouvent des grâces dans la sienne, à l’aide des charmes de sa figure et d’une belle prononciation. L’âge lui a fait perdre quelques-uns de ces derniers avantages, mais il en conserve assez, surtout quand on se rappelle dans combien de grandes occasions il a fait briller ses talents et ses grâces naturelles. Mon oncle, l’évêque de Blois, qui étoit à peu près son contemporain, m’a souvent parlé de sa jeunesse. Jamais on n’a fait de cours d’études avec plus d’éclat ; non-seulement ses thèmes et ses versions étoient excellents, mais il lui restoit du temps et de la facilité pour aider ses camarades, ou plutôt faire leurs devoirs à leur place ; si bien qu’il est arrivé au collège d’Harcourt[1], où il étudioit, que les quatre pièces qui remportèrent les deux prix et les deux accessit étoient également, sou ouvrage. Étant en philosophie au même collège, il voulut soutenir dans ses thèses publiques le système de Descartes, qui avoit alors bien de la peine à s’établir. Il s’en tira à merveille, et confondit tous les partisans des vieilles opinions. Cependant les anciens docteurs de l’Université ayant trouvé très-mauvais qu’il eût combattu Aristote, et n’ayant point voulu accorder de degrés à l’ennemi du précepteur d’Alexandre, il consentit à soutenir une autre thèse, dans laquelle il chanta la palinodie, et fit triompher à son tour Aristote des cartésiens mêmes.

« À peine fut-il reçu docteur en théologie que le cardinal de Bouillon le conduisit à Rome, au conclave de 1689, où le pape Alexandre VIII fut élu. Dès que l’abbé de Polignac fut connu dans cette capitale du monde chrétien, qui étoit alors le centre de l’érudition la plus profonde et de la politique la plus raffinée, il y fut généralement aimé et estimé. Les cardinaux françois et l’ambassadeur de France jugèrent que personne n’étoit plus propre que lui à faire entendre raison au pape sur les articles de la fameuse assemblée du clergé de 1682. C’étoit une pilule difficile à faire avaler à la cour de Rome ; cependant l’esprit et l’éloquence de l’abbé de Polignac en vinrent à bout ; il fut chargé d’en porter lui-même la nouvelle en France, et eut, à cette occasion, une audience particulière de Louis XIV, qui dit de lui en françois ce que le pape Alexandre VIII avoit dit en italien : Ce jeune homme a l’art de persuader tout ce qu’il veut ; en paroissant d’abord être de votre avis, il est d’avis contraire, mais mène à son but avec tant d’adresse qu’il finit toujours par avoir raison. Il n’avoit pas encore mis la dernière main à cette grande affaire lorsque la mort du pape le rappela à Rome. Il assista encore au conclave où fut élu Innocent XII, et revint en France l’année suivante, 1692.

« Environ deux ans après, le roi le nomma à l’ambassade de Pologne dans des circonstances fort délicates. Jean Sobieski se mouroit ;

  1. 1. Maintenant lycée Saint-Louis.