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Torija même, où il s’étoit retiré et où il étoit arrivé, que la bataille est gagnée, il y retourne avec les troupes qu’il en avoit emmenées, et quand il est jour il aperçoit toutes les marques de la victoire. Il n’est honteux ni de sa lourde méprise, ni de l’étrange contre-temps de sa retraite, ni d’avoir sauvé Staremberg par l’absence des troupes dont il s’étoit fait suivre, sans s’embarrasser de ce que deviendroient les autres. Il s’écrie qu’il a vaincu, avec une impudence à laquelle il n’avoit pas encore accoutumé l’Espagne comme il avoit fait l’Italie et la France, et qui aussi ne s’en paya pas, tellement qu’après avoir mis le roi d’Espagne à un cheveu de sa perte radicale, il manqua encore, par cette aveugle retraite, de finir la guerre d’un seul coup, en détruisant l’armée de Staremberg, qui ne lui auroit pu échapper, s’il n’avoit pas emmené les troupes, et qui, par cette faute insigne, eut le moyen de se retirer, et toute la nuit devant soi et longue, pour se mettre en ordre et ramasser tout ce qu’il put pour se grossir. Tel fut l’exploit de ce grand homme de guerre, si désiré en Espagne pour la ressusciter, et la première montre de sa capacité tout en y arrivant.

Du moment que le roi d’Espagne fut ramené sur le champ de bataille avec ses troupes par Vendôme, et qu’ils ne purent plus douter de leur bonheur, il fut dépêché un courrier à la reine. Ses mortelles angoisses furent à l’instant changées en une si grande joie qu’elle sortit à l’instant à pied par les rues de Vittoria, où tout retentit d’allégresse ainsi que par toute l’Espagne et surtout à Madrid qui en donna des marques extraordinaires. Don Gaspard de Zuniga, frère du duc de Bejar, jeune homme de vingt-deux ans, qui avoit fort servi en Flandre pour son âge, fut dépêché au roi à qui le roi d’Espagne manda qu’il ne pouvoit lui envoyer personne qui lui rendît un meilleur compte de l’action, où il s’étoit fort distingué. Il le rendit en effet tel, que le roi et tout le monde en admirèrent la justesse, l’exactitude, la netteté et la modestie. J’aurai lieu de parler de lui ailleurs ; j’eus