Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/435

Cette page n’a pas encore été corrigée

pensa mourir de joie. Cette visite fut accompagnée de toutes les marques d’estime, de reconnoissance et d’amitié si justement dues à la vertu, au courage et à la fidélité de ce vieillard si vénérable, et de toutes les distinctions possibles. Le roi l’entretint seul de sa situation présente, de ses projets et de tout ce qui lui pouvoit marquer toute sa confiance, puis fît entrer les gens distingués, sans permettre au marquis de se lever de sa chaise. En le quittant il l’embrassa, et ne voulut jamais qu’il mît le pied hors de sa chambre pour le conduire. Je ne sais si aucun roi d’Espagne a jamais visité personne depuis Philippe II, qui alla chez le fameux duc d’Albe qui se mouroit, et qui, le voyant entrer dans sa chambre, lui dit qu’il étoit trop tard, et se tourna de l’autre côté sans lui avoir voulu parler davantage. Le quatrième jour après son arrivée à Madrid, le roi en repartit et alla rejoindre M. de Vendôme et son armée.

Ce monarque presque radicalement détruit, errant, fugitif, sans argent, sans troupes, sans subsistance, se voyoit presque tout à coup à la tête de douze ou quinze mille hommes bien armés, bien habillés, bien payés, avec des vivres et des munitions en abondance, et de l’argent, par la subite conspiration universelle de l’inébranlable fidélité, et de l’attachement sans exemple de tous les ordres de ses sujets, par leur industrie et leurs efforts aussi prodigieux l’une que les autres. Ses ennemis, au contraire, qui, après avoir triomphé dans Madrid de sa défaite, qui pour tout autre étoit sans ressource, périssoient dans la disette de toutes choses, se retiroient parmi des pays soulevés contre eux, qui se voyoient brûler plutôt que de leur fournir la moindre chose, et qui ne donnoient quartier à pas un de leurs traîneurs jusqu’à cinq cents pas de leurs troupes.

Vendôme, dans la dernière surprise d’un changement si peu espérable, voulut en profiter, et fit le projet de joindre l’armée d’Estrémadure que Bay tenoit ensemble, trop foible