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que de cela seul il avoit dépendu ; mais que pour rien il n’eût dit à cent lieues près aucunes des choses qu’il avoit entendues avec terreur ; que je l’avois épouvanté à ne savoir où se fourrer ; que je l’avois souvent mis hors de lui-même, quelque assaisonnement que j’eusse mis avant et après les vérités que j’avois si rudement assenées. Nous admirâmes ensuite l’excès de la puissance des égarements qui avoient jeté ce prince dans un si profond abîme, et qui lui coûtoient un si furieux combat, plus encore la bonté, la douceur, la patience incomparables, avec lesquelles il avoit écouté tant de choses énormes par leur dureté, et nous convînmes aisément de l’horrible dommage qu’un prince de tant de grands et d’aimables talents, et capable d’où il s’étoit plongé d’écouter la voix si âpre et si étonnante des vérités que nous lui avions fait entendre, se fût précipité dans les abîmes où nous le déplorions ; nous convînmes que moins qu’en aucun temps précédent, il ne devoit être abandonné à lui-même un seul instant possible. Nous ne laissâmes pas de nous plaindre réciproquement de notre excessive fatigue de corps et d’esprit, et nous nous donnâmes rendez-vous dans la galerie pendant le souper du roi pour convenir de ce qu’il nous restoit à faire. Nous y fûmes exacts.

Je demandai au maréchal s’il ne savoit point quelle réponse il y avoit eu de Mme de Maintenon. Il me dit qu’il n’avoit vu ni M. le duc d’Orléans ni pas un de ses gens, depuis que nous l’avions quitté. Je lui remontrai l’importance d’en être instruit, et le priai de vouloir bien s’en aller informer chez ce prince, tandis que je l’attendrois au même lieu où je lui parlois. Besons y fut et me revint dire aussitôt que Mme de Maintenon mandoit à M. le duc d’Orléans, qu’elle l’attendroit le lendemain toute la matinée, mais que M. le duc d’Orléans n’avoit encore pu apprendre cette réponse. Là-dessus je proposai à Besons, sur notre même principe, d’accompagner M. le duc d’Orléans chez lui, au sortir de chez le roi, d’être présent lorsque la