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fut à la dernière extrémité, M. de Beauvilliers me parla fort confidemment de toutes ses douleurs. Je l’avois laissé venir là-dessus à cause de ce qui s’étoit passé entre son gendre et moi sur Mme de Soubise, que j’ai raconté en son lieu.

Le payement fit encore beaucoup parler. Les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers s’attachèrent trop littéralement au délabrement des affaires du duc de Mortemart, et à la raison de conscience de préférer des dettes de marchands et d’ouvriers qui souffroient, et de gens qui avoient prêté leur bien, à celle qui venoit du jeu et d’une grosse perte ; ils en essuyèrent force blâme et force propos du monde, dont M. d’Isenghien continua de mériter l’approbation et les louanges par la continuation des meilleurs procédés. Je ne pus m’empêcher d’avertir MM. de Chevreuse et de Beauvilliers du bruit et de l’effet de cette conduite, et j’eus grande peine à leur faire entendre combien l’honneur étoit intéressé à payer promptement les dettes du jeu, et combien le monde étoit inexorable là-dessus. Enfin M. de Mortemart que le siége de Douai avoit fait maréchal de camp céda son régiment à M. d’Isenghien à vendre, et pour le reste de la somme M. de Beauvilliers prit les délais tels qu’il voulut, et acheva enfin de tout payer.

Une autre aventure y fut plus fâcheuse : le secrétaire du maréchal de Montesquiou, gagné depuis longtemps par le prince Eugène, craignit enfin d’être découvert, et, tout à la fin de la campagne, disparut, et s’en alla à Douai avec tous les chiffres et les papiers de son maître. On changea tous les chiffres, mais on ne put douter que tout ce qu’on avoit cru de plus secret ne l’avoit pas été pour les ennemis.