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faisoit tout dire, parce que je voyois que pensant tout comme moi, il n’osoit néanmoins parler. Cette bizarre dispute nous donna lieu à tous deux de placer encore dans le discours de nouveaux raisonnements forts, et des considérations vives. Cependant M. le duc d’Orléans s’étoit rassis. Je lui proposai encore, tandis que je le voyois ébranlé, d’envoyer chez Mme de Maintenon ; Besons lui demanda s’il vouloit qu’il appelât quelqu’un de ses gens ; je me mis à louer l’action comme ne doutant pas qu’il ne la fît, et pour l’y exciter davantage, je parlai de la douceur qu’on sentoit après un pénible et généreux effort. Tandis que nous dissertions ainsi, Besons et moi, l’un avec l’autre, n’osant plus l’attaquer directement après l’étrange assaut qu’il venoit d’essuyer, nous fûmes bien étonnés qu’il se levât tout à coup de sa chaise, qu’il courût avec impétuosité à sa porte, l’ouvrît et criât fortement pour se faire entendre de ses gens.

Il en accourut un à qui il ordonna tout bas d’aller chez Mme de Maintenon savoir si et à quelle heure il pourroit lui parler le lendemain matin. Il revint aussitôt se jeter dans sa chaise comme un homme à qui les forces manquent et qui est à bout. Incertain de ce qu’il venoit de faire, je lui demandai aussitôt s’il avoit envoyé chez Mme de Maintenon. « Eh ! oui, monsieur, » me dit-il avec un air désespéré. À l’instant je me jetai à lui, et le remerciai avec tout le contentement et toute la joie imaginables. Il me dit qu’il n’étoit pas bien sûr qu’il parlât à Mme de Maintenon ; sur quoi Besons, qui lui avoit aussi témoigné son extrême satisfaction, l’exhorta à ne pas reculer après avoir pris une résolution si pénible, mais si salutaire. Je me contentai de l’y soutenir en rassurant Besons. Je lui dis que M. le duc d’Orléans, convaincu par la force de nos raisons, et résolu à se faire cette violence si nécessaire, n’avoit pas fait un pas qui l’engageoit si fort pour reculer après ; que son cœur palpitoit encore, mais que j’ouvrois enfin le mien aux plus douces espérances. Lui et moi menâmes quelque temps la parole,