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soulagé par de si bonnes paroles, redoubla de protestations et de fatras de compliments, supplia le roi de trouver bon qu’il en parlât à quelqu’un, et lui nomma le chancelier. Le roi y consentit, et le duc espéra dès lors de sortir bien de cette périlleuse affaire.

Il ne tarda pas d’aller chez le chancelier. Le roi l’avoit instruit, le chancelier ne le lui cacha pas ; et comme il savoit très-bien distinguer les choses d’avec les paroles et les propos, il ne tâta point de celles-ci, et proposa de celles-là. Le fait étoit, et ce fait est inconcevable, qu’avec toutes les injures que le duc de Bouillon disoit de son frère au roi, il ne s’estimoit pas plus que lui son sujet ; et il avoit droit d’avoir cette opinion, parce que jamais, en écrivant au roi, il n’avoit mis le mot de sujet, et que cette omission jusqu’alors lui avoit été tolérée sans aucune difficulté. Or c’étoit là maintenant de quoi il s’agissoit, et à quoi on le vouloit réduire, et c’étoit pour soutenir cet usage dans cette crise que Mme de Bouillon avoit pris occasion d’écrire au roi. Indépendamment de la nature mouvante et jamais souveraine de Sedan et de Bouillon, indépendamment de la manière dont ces fiefs étoient venus et demeurés au grand-père et au père de M. de Bouillon, indépendamment de toutes les félonies qui les leur avoient fait perdre, et de la manière dont le roi s’en étoit saisi, toutes choses bien destructives de souveraineté dans les ducs de Bouillon, le père de celui-ci en avoit fait avec le roi un échange à un avantage en tout genre si prodigieux, qu’il n’avoit pas à s’en plaindre, et celui-ci encore moins depuis le temps qu’il en jouissoit. Avec le rang de prince étranger, la souveraineté, quand elle eût existé, ne pouvoit lui être demeurée, puisqu’il étoit dessaisi et dépouillé volontairement de Bouillon et de Sedan, que le roi possédoit en vertu de l’échange. Le domaine simplement utile [1]laissé à M. de Bouillon n’opéroit rien à cet égard ; pas

  1. C’est-à-dire les revenus des terres séparés des droits de souveraineté.