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au Te Deum de la prise de Douai, et que, de cette ville où il avoit fixé sa demeure, il écrivit une grande lettre à M. de Beauvau, qui en étoit évêque lorsqu’elle fut prise, et qui ne voulut ni chanter le Te Deum, ni prêter serment, ni demeurer, quoi que pussent faire les principaux chefs pour l’y engager ; et par cette lettre le cardinal de Bouillon l’exhortoit à retourner à Tournai et à s’y soumettre à la domination présente, et n’y ménageoit aucun venin.

Ces recherches des registres des curés de la cour, et dans les abbayes de Cluni et de Saint-Denis, si promptement suivies des nouveaux éclats du cardinal de Bouillon, jetèrent le duc son frère en d’étranges inquiétudes des suites que cela pourroit avoir. Ce fut la matière de force consultations dans sa famille, et avec ses plus intimes amis. Il avoit auprès du roi le mérite de cinquante années de domesticité et de familiarité, celui de la plus basse flatterie et d’une grande assiduité ; et par-dessus ceux-là si puissants auprès du roi, il en avoit un autre qui les faisoit encore plus valoir, c’est qu’il avoit fort peu d’esprit. Il avoit ployé avec art et soumission sous les orages que le cardinal et la duchesse de Bouillon s’étoient attirés, et qui, sans l’avoir jamais directement regardé, n’avoient pas laissé de l’entraîner plus d’une fois dans leur exil. Toutes ces choses avoient touché le roi ; il disoit que c’étoit un bon homme ; il ne craignoit rien de lui ; il le plaignoit de ses proches, et il s’étoit accoutumé à avoir pour lui de la considération et de l’amitié. Son fils aîné étoit mort depuis longtemps dans un reste de disgrâce profonde ; le duc d’Albret étoit un homme que le roi ne voyoit jamais, et qu’il n’aimoit point, le chevalier de Bouillon beaucoup moins. Il étoit d’une débauche démesurée et d’une audace pareille qui ne se contraignoit sur rien, qui disoit du roi que c’étoit un vieux gentilhomme de campagne dans son château qui n’avoit plus qu’une dent, et qu’il la gardoit contre lui. Il avoit été chassé et mis en prison plus d’une fois, et n’en étoit pas plus sage. Le comte d’Évreux