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qui ? à un des plus grands rois qui aient régné en France, son souverain, duquel son père tint deux fois la dignité de duc et pair, son oncle, la première charge de la milice, un gouvernement de province, la charge de colonel général de la cavalerie, tous deux après avoir pensé renverser l’État, tous deux après avoir vécu d’abolitions [1] ; son frère aîné, la charge de grand chambellan et le gouvernement de sa propre province, avec les survivances pour son fils qui, tôt après, s’en montra si ingrat ; son autre frère, un autre gouvernement de province, et la charge de colonel général de la cavalerie ; eux tous le rang de prince étranger, et lui-même, une profusion énorme des plus grands et des plus singuliers bénéfices, le cardinalat en un âge qui l’a porté au décanat et la charge de grand aumônier, avec la faveur la plus distinguée. C’est de cet amas inouï des plus grands bienfaits versés sur deux générations de frères, que le cardinal de Bouillon se fait des armes contre celui-là même dont il les tient, et en parlant à lui. On s’arrête ici, parce que le comble d’ingratitude est trop au-dessus de tout ce qui se pourroit dire, ainsi que de l’insolence.

Peu content d’un si monstrueux orgueil, il revient au dédoublement de son cardinalat pour en multiplier la grandeur, avec une fatuité la plus misérable. Doyen du sacré collège n’est-ce pas être cardinal, n’est-ce pas être évêque d’Ostie, n’est-ce pas être le premier suffragant de Rome, et rien de tout cela peut-il être distinct ou séparé ? Mais voici où l’ivresse excelle : c’est la première place après la suprême. Il parle au roi comme il parloit aux paysans de la Ferté lorsqu’il y passa deux mois, et qu’après avoir quelquefois dit la messe à la paroisse, il leur faisoit admirer en

  1. Les abolitions étaient des lettres du souverain obtenues en grande chancellerie, par lesquelles il abolissait et effaçait un crime qui, de sa nature, n’était pas rémissible, et en vertu de la plénitude de sa puissance, remettait la peine portée par la loi.