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ne vouloit point envoyer demander à Mme de Maintenon audience pour le lendemain matin. Il tarda un peu à répondre, puis me dit qu’il ne pouvoit encore s’y résoudre. Ce mot encore me donna une grande espérance. Je me tournai au maréchal ; je le pressai de presser à son tour pour ne me pas rendre odieux à la fin par une importunité trop vive. Il parla, mais avec faiblesse, et conclut promptement qu’il n’y avoit rien à ajouter à mes propos, soit pour leur force, leur justesse ou leur vérité, et dans le désordre où je vis bien que l’effroi l’avoit jeté, je trouvai qu’il avoit beaucoup fait de m’avoir approuvé, quoique si laconiquement, d’une manière si précise.

J’insistai donc encore sur le message, et sentant le prince mollir et ployer sous le faix de ma véhémence, je crus la devoir pousser, et, me levant de nouveau, je lui dis qu’il falloit qu’il me permît encore ce mot : qu’il avoit vu de tout temps et qu’il voyoit encore le brillant, le lustre, la splendeur qui accompagnoit les ministres, les généraux d’armée, ceux pour qui le roi montroit une estime et une amitié solide par sa confiance et par ses bienfaits ; que leur état radieux étoit l’objet de l’envie des uns, de l’émulation des autres, des désirs de tous ; que sa naissance grossissoit naturellement sa cour de ces grands personnages, et de leur cour particulière ; que la faveur et la confiance du roi l’avoient mis souvent au-dessus d’eux en crédit, et toujours en autorité, et avoient fait de ces distributeurs, si souvent arrogants, des grâces, ses courtisans et ses complaisants, avec respect, crainte et soumission ; que d’autre part il voyoit aussi des seigneurs que leur naissance, leurs familles, leurs établissements, leurs dignités portoient si naturellement aux distinctions de leur état, avilis par leurs débauches, inconnus à la cour par leur obscurité, abandonnés à leur propre honte et à leur misère, rejetés des plus chétives compagnies, objets de la censure et du mépris du roi et du public, réduits à ce degré bizarre d’être au