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dit-il, sa démission volontaire, et il prend grand soin de la préserver de l’opinion de l’aveu d’un crime qu’il n’a point commis. Il étoit cardinal de la nomination du roi, et il étoit chargé de ses affaires à Rome ; en même temps il avoue lui-même qu’il avoit prêté serment au roi. Dans cet état il tombe en la défiance et en la disgrâce du roi qui le rappelle. Malgré beaucoup d’ordres réitérés et les plus précis, il s’obstine à demeurer à Rome, ose mettre en question si un cardinal est obligé d’obéir à son roi, n’oublie rien pour engager la cour de Rome à prendre parti pour la négative, et donne ce spectacle public de lutte contre le roi.

En quel siècle, en quel pays n’est-ce point là un crime et un crime de lèse-majesté le plus grave après celui du premier chef ? Il est égal à celui de la révolte à main armée, puisqu’il n’a pas tenu à lui de faire une affaire d’État et de religion de la sienne particulière et d’armer pour soi la cour de Rome. Avec quel front ose-t-il donc nier ce crime si long et si public jusqu’à la délicatesse de se précautionner contre l’opinion d’un aveu tacite par sa démission, et cette démission il a grand soin de l’inculquer volontaire, et de marquer en même temps la date où elle lui a été demandée : or il conste de cette date, qu’il a désobéi près de dix ans à la volonté du roi là-dessus, et neuf à l’arrêt qui l’a dépouillé, puisque, n’osant avec tout son orgueil continuer à porter l’ordre après que l’ambassadeur du roi eut été chez lui pour lui déclarer et lui faire exécuter cet arrêt, il a eu l’enfance et la misère qu’il avoue ici, et qui ne peut avoir d’autre nom de porter en dessous ce qu’il n’osoit plus montrer en dessus, et témoigna ainsi sa petitesse et sa faiblesse d’une part, et de l’autre son orgueil et son opiniâtreté. Envoyer après dix ans de cette conduite sa démission, et s’évadant du royaume, cela peut-il s’appeler une démission volontaire ? n’est-ce point plutôt une dérision, et dire au roi en effet qu’elle n’est volontaire que parce que rien n’a pu la tirer de lui,