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La division qui s’y étoit mise par la réforme tout à fait séparée en tout des religieux anciens avoit augmenté les différends. Ceux-ci, aussi peu réformés que leurs abbés, tenoient presque tous pour lui contre les réformés ; et la passion de posséder les bénéfices claustraux ou affectés aux religieux étoit une pomme de discorde dont l’abbé savoit profiter. De là, duplicité d’offices et de titulaires, de bénéfices, de la collation de l’abbé et de l’élection des religieux ; et une hydre de procès et de procédés entre eux, où l’abbé étoit toujours compromis et presque toujours partie. On a vu l’éclat que le cardinal de Bouillon fit contre Vertamont, premier président du grand conseil, sur un arrêt très-important qu’il prétendit que ce magistrat avoit falsifié. Il renouvela ses plaintes contre le grand conseil, même sur un procès d’où dépendoit une grande partie de sa juridiction. Il prétendit que ce tribunal tiroit pension de l’ordre de Saint-Benoît dont toutes les causes lui étoient attribuées, et qu’aucune de leurs parties n’y pouvoit avoir justice. La chose alla si loin qu’elle fut longtemps devant le roi, et lui en espérance qu’elle seroit évoquée pour être jugée au conseil de dépêches [1]. Le chancelier, trouvant qu’il y alloit de l’honneur de la magistrature d’attirer cette affaire devant le roi, et, qu’après cet éclat le grand conseil aussi n’en pouvoit demeurer juge, prit un tempérament, et proposa au roi de la renvoyer à la grand’chambre à Paris. Le cardinal, fort affligé de ce renvoi, ne laissa pas de faire les derniers efforts de crédit par sa famille, qui sollicita tant qu’elle put, et se trouva à l’entrée des juges, où je ne crus pas leur devoir refuser d’aller avec eux. L’affaire dura longtemps, et nonobstant tous ces soins elle fut perdue. Ce fut la dernière goutte d’eau qui fait répandre l’eau d’un verre trop plein,

  1. Conseil où l’on traitait des affaires de l’intérieur du royaume et où s’expédiaient les dépèches pour les gouverneurs, intendants et autres magistrats chargés du gouvernement des provinces. Voy. à la fin du t. Ier, p. 445, la note sur les Conseils du roi.