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voyage, il arriva une aventure qui eût été fort plaisante si elle n’eût pas été telle aux dépens de l’État. Le maréchal de Montesquiou, qui assembloit l’armée sous Cambrai, qui, comme je l’ai dit, avoit passé l’hiver en Flandre, et qui n’en avoit pas déguisé les désordres au maréchal de Villars, destiné dès lors à y faire la campagne avec lui, écrivit au roi des merveilles du bon état de toutes choses. Le roi fut si aise de ces bonnes nouvelles, qu’il envoya à Villars cette dépêche de Montesquiou. Le hasard fit que ce courrier atteignit Villars en chemin, deux heures après qu’il eut reçu une longue lettre de Montesquiou, remplie d’amertume et de détails les plus inquiétants sur tout ce qui manquoit aux places, aux magasins, aux troupes, en un mot de tous côtés.

Villars, bien moins surpris de l’une que de l’autre, n’en fit point à deux fois ; sur-le-champ il renvoya au roi le courrier qu’il venoit d’en recevoir, et le chargea de la lettre dont je viens de parler et de celle qui lui avoit été envoyée, et, avec ces deux contradictoires de même date et du même homme, il ne fit que joindre un billet au roi et un autre à Voysin, par lesquels il les prioit de juger à laquelle des deux lettres ils devoient ajouter le plus de foi, et continua son voyage, ravi du bonheur de présenter, aux dépens d’un autre et si naturellement, les mêmes vérités qui l’avoient conduit si près de la disgrâce et de la chute, et de montrer tout le poids du fardeau dont il alloit se charger. Les suites n’ont point montré dans le roi l’effet de ce rare contraste ; mais il devint public tout aussitôt par Villars même, qui se garda bien de s’en taire, et l’éclat en fut épouvantable. Les deux maréchaux ne s’en parlèrent point, mais on peut juger de l’union que cette aventure dut mettre entre eux, et quel spectacle pour l’armée, qui n’avoit d’ailleurs ni estime ni affection pour eux, qui aussi ne s’étoient pas mis en soin de se concilier ni l’un ni l’autre.

Le prince Eugène et le duc de Marlborough, qui ne vouloient point de paix, et dont le but étoit de percer en France, l’un