Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/345

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À la levée de ce fatal rideau, l’aspect leur parut si hideux, et tout si fort embarrassant, qu’ils eurent plus court de se fâcher que de répondre à un langage si nouveau dans la bouche de Villars, qui n’avoit fait tout ce qu’il avoit voulu qu’à force de leur dire et de leur répéter que tout étoit en bon état et alloit à merveilles. C’étoit la fréquence et la hardiesse de ses mensonges qui le leur avoient fait regarder comme leur seule ressource, et lui donner et lui passer tout, parce que lui seul trouvoit tout bien, et se chargeoit de tout sans jamais dire rien de désagréable, et faisant au contraire tout espérer comme trouvant tout facile. Le voyant alors parler le langage des autres et de tous les autres, l’espérance en ces prodiges s’évanouit avec tous les appâts dont il les avoit bercés si utilement pour lui. Alors ils commencèrent à le regarder avec d’autres yeux, à le voir comme le monde l’avoit toujours vu, à le trouver ridicule, fou, impudent, menteur, insupportable, à se reprocher une élévation de rien si rapide et si énorme, à l’éviter, à l’écarter, à lui faire sentir ce qu’ils en pensoient, à le laisser apercevoir aux autres.

À son tour Villars fut effrayé. Son dessein étoit bien d’essayer à l’ombre de sa blessure et de tant de manquements à suppléer qui demandoient une pleine santé, de jouir en repos de toute sa fortune, et d’éviter les épines sans nombre et toute la pesanteur d’un emploi qui, au point où il étoit parvenu, ne pouvoit plus lui présenter de degrés à escalader ; mais il vouloit en même temps conserver entiers son crédit, sa faveur, sa considération, ses privances et une confiance qui le fît consulter, et lui donnât influence sur les partis à prendre, les ordres à envoyer aux différentes armées, se rendre juge des coups et de la conduite des généraux, et augmenter son estime auprès du roi par ses propos avantageux sur la guerre, de l’exécution desquels il ne seroit pas chargé. Quand il sentit un si grand changement à son égard sur lequel l’ivresse de son orgueil et de son bonheur