Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/34

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qu’il se pouvoit souvenir qu’à deux fois différentes je m’étois hasardé de lui jeter quelques propos sur cette rupture avec grande circonspection et presque en monosyllabes ; qu’une troisième fois j’avois pris confiance de pousser jusqu’à une seconde période, et que sur l’air qu’il prit tant soit peu moins ouvert, je m’étois arrêté tout court et avois changé de discours ; qu’il devoit donc comparer ces extrêmes réserves d’alors avec tout l’opposé de maintenant, et en conclure qu’il n’y avoit donc que la plus âpre et la plus pressante nécessité qui m’avoit forcé et soutenu ; qu’encore une fois il y fît des réflexions salutaires, qu’il ne s’abandonnât pas lui-même dans un abîme sans fond pour n’avoir pas la force de s’en tirer, et nous au désespoir de l’y voir périr sans aucune espérance de ressource. Je me tournai ensuite au maréchal, pour l’exhorter à presser et à ne laisser pas sur ma seule insuffisance le poids d’une affaire si capitale. Je me tus après pour reprendre haleine et courage, et pour observer, dans la réponse et dans la contenance du prince, ce qu’opéroit un discours si touchant. Besons, ému par ce que je venois de dire, voulut parler aussi en même sens. Il fit des représentations pleines de justesse, mais trop mesurées pour l’état auquel nous nous trouvions. L’esprit de M. le duc d’Orléans étoit désormais convaincu, ou hors de moyen de l’être, après tout ce que nous lui avions démontré. Il n’étoit plus question que de déterminer une volonté arrêtée par une passion qui la tyrannisoit, et cette opération violente avoit un extrême besoin de force et de véhémence. Il échappa à M. le duc d’Orléans de témoigner en s’adressant à Besons que, s’il se séparoit de sa maîtresse, ce ne seroit qu’à condition de la voir et de l’y préparer lui-même, et là-dessus Besons s’écria qu’avec cette résolution, non-seulement il ne romproit pas présentement avec elle, mais qu’il ne la quitteroit jamais ; que, s’il avoit tant de peine à prendre en son absence un parti salutaire et forcé, que deviendroient les réflexions en sa présence ? que l’amour