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Vers ce temps-là entra Mademoiselle, suivie de Mme de Maré, sa gouvernante ; elle embrassa M. son père, qui l’aimoit avec passion dès sa plus tendre enfance, et se mit à causer avec lui, et moi avec Mme de Maré. Elle étoit ma parente et fort mon amie. Je lui dis tout bas d’emmener sa princesse, parce qu’elle interrompoit quelque chose qui vouloit être suivi. Elle n’en eut pas la peine, parce qu’un moment après M. le duc d’Orléans la renvoya, et aussitôt nous nous rassîmes.

Cette visite me donna occasion de prendre de nouvelles armes, et de me servir de la tendresse paternelle. Je savois, par M. le duc d’Orléans, qu’il y avoit près de deux ans que le roi, de lui-même, lui avoit parlé de Mademoiselle comme d’un parti qui pouvoit être convenable pour M. le duc de Berry. Je demandai à M. le duc d’Orléans ce qu’il prétendoit en faire, qu’ayant plus de quatorze ans et la figure d’une jeunesse plus avancée, il me sembloit qu’elle devoit commencer à lui peser ; qu’après les grandes espérances que le roi lui avoit fait naître si naturellement pour un établissement si solide pour sa grandeur personnelle, et celle de M. son fils, si agréable encore en ne la séparant [point] de lui par un mariage étranger, tout autre gendre que M. le duc de Berry lui devoit paroître une chute ; qu’il s’étoit mis en état néanmoins de faire évanouir toutes ces pensées, et que je ne voyois aucun moyen de les faire renaître que la rupture, et la manière de la faire que je lui avois proposée. M. le duc d’Orléans ne se récria plus sur la manière, mais seulement sur la rupture, et avec plus d’angoisse que de sécheresse, ce qui me donna tout courage d’aller plus en avant. Je lui demandai donc si, se résolvant enfin d’y venir, il n’en parleroit pas à Mme de Maintenon. Il demeura quelques moments sans me répondre, puis dit que s’il y venoit il faudroit bien qu’il lui en parlât. Alors j’insistai à ce qu’il s’en expliquât avec elle de la même manière que je lui avois conseillé de faire avec le roi, mais de s’étendre davantage avec elle d’un