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si pour tout cela, il se croyoit bien avec elle ; qu’il falloit qu’il pensât qu’elle avoit fait comme une mère qui veut tirer son fils des mains de la justice, et qui, bien qu’elle le sache coupable, dit et fait tout ce qu’elle peut pour le sortir d’affaire, et elle d’affront, bien résolue après de le châtier en particulier et de lui faire sentir, sans danger, toute son indignation. Cette comparaison le fit souvenir qu’il l’avoit priée de faire ses remercîments à la reine d’Espagne sur la modération de ses lettres en cette occasion, que la réponse en devoit être arrivée depuis plusieurs mois sans qu’il en eût ouï parler, et qu’il trouvoit en effet Mme la duchesse de Bourgogne bien plus réservée avec lui depuis la fin de cette affaire d’Espagne, que pendant qu’elle avoit duré. Ces réflexions qui me revinrent me résolurent à lui rompre tout reste de retranchements sur l’amitié dont il s’étoit voulu flatter.

Plein de ces pensées je retournai chez M. le duc d’Orléans un peu avant trois heures ; je le trouvai dans son entre-sol, et déjà Besons avec lui. Il me vit arriver avec plaisir, et me fit asseoir entre lui et le maréchal, que je complimentai sur sa diligence, et lui demandai sur quoi ils en étoient. « Toujours sur la même chose, me dit-il, et dans le même combat. » Je répondis que si était-il enfin temps de mettre fin à ces incertitudes et de prendre une bonne résolution pour sortir du plus fâcheux et dangereux état où prince de ce rang se pût jamais trouver, et tout de suite je mis sur le tapis son peu de ressource, puisque celle-là même qui avoit le mieux fait pour lui dans son affaire d’Espagne lui manquoit depuis dans tout le reste de propos délibéré. Je m’étendis beaucoup là-dessus sans que M. le duc d’Orléans m’interrompît que par des soupirs et des changements de postures dans sa chaise, d’un homme fort en malaise avec lui-même.