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et le présenta à Madame sur le pied de gendre. Tout cela fut fort court, le roi repassa chez lui par ses cabinets, et de là dans ses jardins. Dès qu’on l’y eut vu entrer, toute la cour fondit chez Madame et de là chez Monseigneur et chez M. le duc de Berry, chacun avide de se faire voir et plus encore de pénétrer les visages. Si peu de gens et depuis si peu en avoient eu de simples soupçons, que cette déclaration subite jeta tout le monde dans le plus grand étonnement. La rage pénétra les uns et jusqu’aux plus indifférents de la cour et de la ville ; ce mariage ne fut approuvé de personne, par les raisons que j’ai expliquées dès l’entrée du récit de cette puissante intrigue. Mais il est des choses dont on ne peut et on ne doit pas rendre raison, et alors il faut laisser dire. Tel fut le coup de foudre qui tomba sur Mme la Duchesse, si à coup [1] au premier voyage de ses filles à Marly. Je n’ai point su ce qui se passa chez elle dans ces étranges moments, où j’aurois acheté cher une cache derrière la tapisserie. M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans revenoient de Saint-Cloud, lorsqu’ils rencontrèrent ce laquais de d’Antin, qui les arrêta et qui poursuivit après son chemin vers Mademoiselle.

On peut juger du soulagement de M. [le duc] et de Mme la duchesse d’Orléans. En arrivant ils allèrent droit chez Monseigneur, qui étoit à table chez lui, faisant un retour de chasse avec des dames et Mgrs ses fils. Débarrassé de l’éclat et bon homme au fond, il ne voulut pas déplaire au roi par une mauvaise grâce inutile ; il prit donc en les voyant entrer un air non-seulement gai, mais épanoui ; il les embrassa et les fit embrasser par Mgrs ses Fils, leur présentant le second comme leur gendre, et voulut que les plus considérables de la table les embrassassent aussi. Il fit asseoir Mme la duchesse d’Orléans près de lui, lui prit les mains à sept ou huit reprises, l’embrassa cinq ou six autres, but au beau-père, à la belle-mère, à la belle-

  1. Si à l’improviste.