Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/273

Cette page n’a pas encore été corrigée

rendre compte à son amie, à deux conditions : la première, qu’il me nommeroit à elle, pour donner, me dit-il, plus de poids à son discours, et ne lui point faire de mauvaise finesse ; la deuxième que M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans, qu’il sentit bien qui me faisoit agir, lorsqu’il les verroit en leur faisant sa cour ou ailleurs, ignoreroient jusque avec lui-même qu’il entrât en rien de tout cela. Je lui permis l’un et lui promis l’autre, après quoi il m’assura qu’il feroit incessamment tout son possible pour persuader son amie de voir au moins Mme la duchesse d’Orléans, mais que, Monseigneur allant ce jour-là à Meudon, où il devoit demeurer huit ou dix jours, il ne pourroit sitôt voir son amie. Il convint avec moi qu’aussitôt qu’il l’auroit vue, il m’enverroit prier à dîner pour éviter jusqu’aux apparences de rendez-vous, et que je n’y manquerois pas, pour savoir la réponse.

Après un entretien si long, si confident, si fort approfondi, je conçus quelques espérances, et M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans encore plus. Ce ne fut pas sans admirer ensemble en quelle réduction on vivoit, et la singularité non jamais assez admirée de ce besoin général de tout le monde, et des plus proches du trône, de passer par Mme de Maintenon pour aller au roi, et par Mlle Choin pour aller jusqu’à Monseigneur, et cela en même temps avec l’humilité des avances d’une part, l’orgueil des réserves de l’autre, et la nécessité avec l’incertitude d’une secrète et difficile négociation pour, à toute condition, obtenir audience, et que deux créatures de si vil aloi voulussent bien prêter chez elles quelques précieux moments aux désirs empressés et réitérés de ce qu’il y avoit de plus important, de plus grand et de plus proche de la couronne. Je ne voulus pas effaroucher M. le duc d’Orléans de l’éloignement que cette Choin avoit pris de lui, mais je le confiai à Mme la duchesse d’Orléans.