Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/270

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour cette sœur, que Bignon me releva beaucoup, ne croyoit pas qu’il fût sûr pour elle de lui laisser naître aucun soupçon sur leur intimité, Mme la Duchesse toujours présente, elle presque toujours absente, et Mme la princesse de Conti encore palpitante par des restes de bienséance et de considération. Que ce fût cœur ou esprit qui produisît dans la Choin cette union intrinsèque avec Mme la Duchesse, ce n’étoit pas chose aisée à nettement pénétrer ; et bien que cette alternative ne me pût être indifférente pour des temps éloignés, c’étoit pour l’objet présent la même chose ; et dans le fond, désirs à part, quelques raisons qu’eût Mlle Choin de craindre Mme la Duchesse, tout sens, toute sagesse, toute raison étoit pour qu’elle la ménageât si parfaitement, dans la position où elles se trouvoient l’une et l’autre, qu’elle lui ôtât tout son soupçon de défiance et de jalousie, ce qu’elle ne pouvoit avec une personne d’autant d’esprit et d’application que l’étoit celle-là, avec l’air futile de ne songer qu’à s’amuser et à se divertir elle et les autres, que par un entier abandon à elle pour le temps présent, qui étoit justement ce que je voulois tâcher d’ébranler. Dans ce dessein je continuai à m’étendre sur tout le danger de la puissance de Mme la Duchesse, sur son peu de cœur, de foi, de principes en tout genre, et en louanges sur la conduite de Mlle Choin avec elle ; mais je remontrai à Bignon qu’au milieu de tout cela un abandon effectif à elle seroit le comble de l’imprudence ; qu’il me paraissoit que, sans offenser Mme la Duchesse, elle pouvoit entendre à quelque liaison avec M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans, d’autant plus sûrement que ni à présent, pour l’amitié de Monseigneur, ni dans d’autres temps pour le timon de toutes choses, elle n’auroit point à lutter avec eux ; qu’il pouvoit arriver des conjonctures où cette liaison lui deviendroit utile à elle-même ; qu’elle étoit bien avec Mgr et Mme la duchesse de Bourgogne, ce qui lui seroit toujours important à ménager, quelle qu’elle fût, et à bien ménager de