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fis valoir sa patience sur la conduite qu’il avoit avec elle, la retenue exacte de toute plainte, le vif intérêt qu’elle prenoit à sa gloire, ses déplaisirs et ses mouvements dans son affaire d’Espagne, l’utilité de la tendrese du roi pour elle en cette fâcheuse occasion, et je m’étendis sur tous ces points. Besons m’y seconda très-bien, et M. le duc d’Orléans écouta tout avec beaucoup de patience. Nous nous mîmes après tous deux à lui vanter les douceurs et le prix d’un heureux mariage ; et comme nous en parlions tous deux par la plus douce expérience, nous lui fîmes beaucoup d’impression.

Ce fut l’état dans lequel nous le laissâmes, pressés par l’heure déjà fort tardive, et malgré lui, et en vérité bien fatigués d’un travail si rude et si étrange. Il nous conjura de ne le point abandonner dans le terrible combat où nous l’avions engagé ; et nous l’assurâmes que, dès que nous aurions dîné, nous ne différerions pas à revenir auprès de lui. En sortant, Besons me dit que j’étois le meilleur et le plus hardi ami qui se pût imaginer, que la force de ce que j’avois dit l’avoit fait trembler à plusieurs reprises jusqu’à lui ôter la respiration, avouant que cela étoit nécessaire pour arracher de force ce qui ne se pouvoit espérer autrement, et ce qu’il n’espéroit même guère encore. Il me promit de s’encourager pour seconder ma force le mieux qu’il pourroit, me dit qu’il falloit surtout empêcher ce prince d’aller à Paris, où un moment renverseroit tout notre travail, et tâcher même à ne le pas perdre de vue jusqu’au bout. Nous nous séparâmes promptement pour ne donner pas aux gens de M. le duc d’Orléans à penser et à raisonner plus que nous sûmes après qu’ils faisoient déjà d’une séance si longue, après la mienne de la veille ; et nous convînmes de retourner aussitôt que nous aurions dîné, et de passer toute la journée avec M. le duc d’Orléans.