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près de la porte, il avoit tourné un peu la tête, et vu que le roi ouvroit sa lettre. Ce mot dit, nous rejoignîmes la queue de la suite du roi, pour nous mêler et reparaître séparément. Je me sentis bien soulagé d’une si grande affaire faite, et j’avoue que ce ne fut pas sans émotion que j’attendis le succès de mon travail.

L’attente ne fut pas longue. J’appris le lendemain, par M. le duc d’Orléans, que le roi lui avoit dit qu’il avoit lu deux fois sa lettre ; qu’elle méritoit grande attention ; qu’il lui avoit fait plaisir de lui écrire plutôt que de lui parler ; qu’il désiroit lui donner contentement, mais que Monseigneur seroit difficile, et qu’il perdroit son temps pour lui en parler. En même temps je sus de Mme la duchesse d’Orléans que le roi avoit lu la lettre, dès le vendredi au soir, chez Mme de Maintenon, entre elle et Mme la duchesse de Bourgogne ; qu’il l’avoit goûtée, louée, et approuvé le désir et les raisons qu’elle contenoit ; que Mme de Maintenon et Mme la duchesse de Bourgogne l’avoient fortement appuyée ; que leur embarras étoit Monseigneur, sur lequel ils avoient fort raisonné ensemble, et conclu qu’il falloit l’y faire consentir avec douceur et amitié, bien prendre son temps, n’en point perdre, et que ce fût le roi qui parlât pour forcer d’autant plus Monseigneur qui ne lui avoit encore jamais dit non à rien. C’étoit de Mme la duchesse de Bourgogne que Mme la duchesse d’Orléans tenoit tout ce récit. Peu de jours après, nous sûmes par le P. du Trévoux que le roi avoit parlé de la lettre au P. Tellier en même sens que je viens de le dire ; que le confesseur l’avoit confirmé dans ces sentiments, l’avoit affermi sur Monseigneur et persuadé de finir tout le plus tôt qu’il seroit possible. Dans cette heureuse situation je fus d’avis que M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans ne gâtassent rien par un empressement que l’engagement si formel du roi rendoit pire qu’inutile, et gardassent une conduite unie et serrée pour ne réveiller pas Mme la Duchesse et les siens, et ne troubler pas leur sécurité