Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/245

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« Vous avez nouvellement comblé toute votre famille de biens, et moi seul je me trouve excepté. Vous avez cherché à consoler Mme du Maine du chagrin qu’elle s’est voulu faire sur son rang, moi seul je me trouve encore égalé aux princes du sang à votre communion. Je me trouve condamné, en la personne de mes filles, sur le rang que j’avois cru devoir prétendre pour elles. J’étouffe mon chagrin par soumission, et pour vous rendre un plus profond respect. Rien cependant ne me console, et rien ne s’avance pour l’unique chose qui pourroit le faire. Que puis-je penser là-dessus, Sire, sinon de craindre de n’être pas avec Votre Majesté comme j’ose dire que le mérite mon cœur pour elle, ou qu’il se présente un autre obstacle, que je vois depuis longtemps se former avec art et se grossir de même ? Car pour la conjoncture des temps, tout apprend, et ces derniers exemples, que vous êtes trop grand, trop absolu, trop maître pour qu’une semblable raison arrête ce que vous voulez faire ; et puisque l’état des princesses de l’Europe est tel que le mariage de M. le duc de Berry ne peut rien influer à la paix, votre amitié et votre autorité peuvent trouver les expédients nécessaires de passer en ma faveur, comme vous avez fait pour les autres, par-dessus la conjoncture des temps. Mon malheur est donc tel que je ne puis plus attribuer le silence sur ce mariage qu’à votre volonté, et j’en mourrois de douleur, et qu’à l’éloignement qu’on ne cesse de donner contre moi, avec toute la malignité et l’artifice possible, à celui dont la bonté et l’équité naturelle, l’ancienne amitié pour moi en rendroit tout à fait incapable sans un crédit aussi grand, et dont l’augmentation continuelle ne promet qu’une division que rien ne pourra éteindre dans votre maison si j’en deviens la victime, dans un temps surtout où, contents ou jamais, on ne devroit avoir aucune aigreur de reste. C’est donc, Sire, mon extrême et respectueuse tendresse pour votre personne, mon attachement pour celle de Monseigneur, qui plus que tout me fait du désir de me voir rapprocher