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lettre. Je suivis donc M. le duc d’Orléans qui, en arrivant chez lui, où il n’eut jamais ni plume, ni encre, ni papier, demanda à ses gens de quoi écrire, qui en apportèrent de fort mauvais. Il me proposa que nous fissions la lettre ensemble ; mais importuné dès la première ligne, je lui en remontrai l’inconvénient et le priai de faire sa lettre et moi une autre ; qu’il chaisiroit après, ou corrigeroit et ajoute-roit ce qu’il voudroit ; et là-dessus je me mis à écrire. Vers le milieu de ma lettre, que je fis rapidement tout de suite, le hasard me fit lever les yeux sur lui, en prenant de l’encre dans ma plume ; et je vis qu’il n’avoit pas écrit un mot depuis que nous avions cessé de faire ensemble, et que, couché dans sa chaise, il me voyoit écrire tranquillement. Je lui en dis mon avis en un mot, et continuai. Il me dit pour raison qu’il n’étoit non plus en état d’écrire que de parler. Je ne voulus pas contester. Cette lettre qui emporta le mariage, et qui peint mieux que les portraits l’intérieur du roi, par le tour dont elle s’exprime, pour l’emporter comme elle fit, mérite par ces raisons d’être insérée ici, et n’est pas d’ailleurs assez longue pour être renvoyée aux Pièces. La voici telle que je la fis d’un seul trait de plume en présence de M. le duc d’Orléans, comme je viens de le dire :

« Sire,

« Plusieurs pensées m’occupent et me pénètrent depuis longtemps, que je ne puis plus me refuser de représenter à Votre Majesté, puisqu’elles ne peuvent lui déplaire, et que depuis peu diverses occasions ont tellement grossi dans mon cœur et dans mon esprit les sentiments qu’elles y ont fait naître que je ne puis que je ne les porte aux pieds de Votre Majesté, avec cette confiance que vos anciennes bontés, et, si j’ose l’ajouter, que le sang inspirent ; et je le fais par écrit dans la crainte de ma plénitude, qui est telle que j’aurois appréhendé de vous parler trop diffusément. Il y a deux ans, Sire, que Votre Majesté fit naître en moi des espérances