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ensuite des commencements de paroles, qu’un effort retenoit à demi prononcées, ce qui, s’étant répété quelquefois, m’enhardit à lui dire que je voyois bien qu’il vouloit se soulager avec nous de quelque peine qui l’agitoit ; que je ne le pressois point de le faire, mais que je le suppliois de considérer qu’il étoit entre ses deux plus assurés serviteurs, et dans un état qui ne demandoit point de contrainte. Il ne répondit rien, et je me tus. Après un assez long et vif combat intérieur, il nous dit, comme tout à coup, qu’après avoir bien balancé, il se sentoit pressé d’une chose qui lui faisoit une peine infinie à nous dire, mais que la situation en laquelle il se trouvoit en lui-même, et l’entière confiance qu’il avoit en nous le forçoit à la dire ; que parmi tout ce qui le combattoit contre ce que nous essayions de lui persuader de faire, une des choses qui le peinoient le plus étoit son domestique, et la vie en laquelle il retomboit en rompant. Je repris la parole. Je lui dis que j’avois commencé à sentir ce qui l’agitoit entre parler et se taire avant qu’il eût lâché ce mot ; que, par respect, je n’avois osé l’en laisser apercevoir, mais que j’étois ravi qu’il eût enfin pris le parti de l’ouverture avec de si véritables et de si sincères serviteurs ; puis, entrant en matière, je lui dis que je ne m’étonnois pas qu’il eût peine à s’engager dans une sorte de vie qui lui étoit tout à fait inconnue, et dont il n’avoit jamais eu le temps de connoître les douceurs.

À ce mot qu’il releva avec une sorte de transport, il nous avoua un éloignement extrême pour sa femme, et tel qu’il ne se sentoit pas capable de [le] vaincre jamais. Je regardai le maréchal, et je dis, en lui adressant la parole, que c’étoit là la chose à laquelle je m’étois le plus attendu, et qui aussi m’embarrassoit le moins ; qu’il étoit tout naturel que M. le duc d’Orléans, marié contre son gré, excité au dégoût de son mariage par ceux-là mêmes dont l’autorité l’en devoit défendre contre celle du roi, ou combattre ce dégoût après l’avoir mis en état de le regarder comme le plus grand