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Versailles, il auroit au moins le plaisir d’y pouvoir être tant qu’il voudroit, sans qu’on pût le trouver mauvais. Il se trompa d’un bout à l’autre, et personne autre que lui n’y fut trompé, si tant est qu’il le fut en effet, sinon en croyant en imposer au monde.

Il fallut établir des tables, comme à Versailles, pour le bas étage de ce qui y avoit bouche à cour, et qui vivoit de la desserte des trois tables qui jusque-là étoient soir et matin servies dans un des petits salons pour le roi et les dames. Il fallut des cuisines aux princesses et d’autres appartenances, et tout aussitôt réparer ce qu’on avoit pris pour cela par des bâtiments nouveaux, qui furent fort étendus pour pouvoir mener plus de monde. Les ateliers et les noms furent changés, mais d’Antin laissa subsister les ouvrages sous une autre face. L’épargne en effet demeura nulle, les ennemis se moquèrent de ce retranchement avec insulte, les plaintes des sujets ne cessèrent point, et l’interruption du courant des affaires, souvent importantes et pressées, ne fit qu’augmenter par l’allongement et la fréquence de ces voyages dont le roi avoit compté de s’acquérir ainsi toute la liberté.

Mme la Duchesse, qui vouloit tenir Monseigneur de près, et qui connoissoit le danger de l’interruption d’un continuel commerce, avoit, contre toute bienséance, dans ses deux premiers mois de deuil, obtenu d’être de tous les voyages de Marly. Ce n’avoit pas été sans peine, sans autre raison toutefois que le roi, qui vouloit que ses tables fussent toujours remplies sans que personne y manquât (et ce ne fut que dans la première huitaine de ce Marly qu’il les retrancha), et qui étoit jaloux aussi que le salon fût toujours vif et plein, craignoit que l’appartement de Mme la Duchesse, qui n’en pouvoit sortir que par le cabinet du roi après son souper, fît une diversion qui éclairciroit fort l’un et l’autre. Elle promit là-dessus l’attention la plus discrète, à laquelle le roi se rendit voyant qu’il falloit céder ou défendre, à quoi il ne voulut pas se porter. Le retranchement des tables, qui