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cette liberté et cette étourderie de dessein prémédité qu’elle employoit quelquefois, de dire que c’étoit là une vraie femme pour M. le duc de Berry. À ce mot Monseigneur rougit de colère et répondit vivement que cela seroit fort à propos pour récompenser le duc d’Orléans de ses affaires d’Espagne. En achevant ces paroles, il sortit brusquement et laissa la compagnie bien étonnée, qui ne s’attendoit à rien moins d’un prince d’ordinaire si indifférent et toujours si mesuré. Mme la duchesse de Bourgogne, qui n’avoit parlé de la sorte que pour tâter Monseigneur en présence, fut habile et hardie jusqu’au bout. Se tournant d’un air effarouché vers Mme de Maintenon : « Ma tante, lui dit-elle, ai-je dit une sottise ? » Le roi, piqué, répondit pour Mme de Maintenon, et dit avec feu que si Mme la Duchesse le prenoit sur ce ton-là et entreprenoit d’empaumer Monseigneur, elle compteroit avec lui. Mme de Maintenon aigrit la chose adroitement, en raisonnant sur cette vivacité si peu ordinaire à Monseigneur, et dit que Mme la Duchesse lui en feroit faire bien d’autres, puisqu’elle en étoit déjà venue jusque-là. La conversation diversement coupée et reprise s’avança avec émotion, et avec des réflexions qui nuisirent plus à Mlle de Bourbon que l’amitié de Monseigneur pour Mme la Duchesse ne la servit.

Cette aventure, que Mme la duchesse d’Orléans sut aussitôt par Mme le duchesse de Bourgogne, et qu’elle me rendit dès qu’elle l’eut apprise, me confirma dans ma pensée qu’il falloit presser et emporter d’assaut sur Monseigneur, en piquant d’honneur le roi contre Mme la Duchesse, lui faire sentir que l’effet de l’empire de cette princesse sur Monseigneur seroit de le lui rendre difficile à conduire, combien plus si elle emportoit avec lui le mariage de leurs enfants ; qu’il ne falloit perdre aucune occasion de bien imprimer au roi la crainte d’avoir à commencer à compter avec Monseigneur, à ménager Mme la Duchesse, à n’oser leur refuser rien, non de ce que Monseigneur voudroit, mais de ce que