Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/224

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elle ne pouvoit ignorer la puissance de la nouveauté sur son esprit, dont elle-même avoit fait une expérience si heureuse. Elle avoit donc à redouter une autre elle-même, je veux dire une princesse au même degré du roi qu’elle, qui, plus jeune qu’elle, le pourroit amuser par des badinages nouveaux et enfantins qui lui avoient si bien réussi, mais qui n’étoient plus guère de son âge, quoiqu’elle s’en aidât encore, et qui lui siéroient d’autant moins alors qu’ils seroient plus de saison pour une autre ; que cette autre, égale à elle en rang, en particuliers, en privances, auroit lieu d’en user autant qu’elle, peut-être plus que si le roi y prenoit ; que conduite par sa mère, Mme la Duchesse, elle seroit au fait de tout, ne donneroit prise sur rien par aucuns contretemps, n’auroit point comme elle un époux à soutenir, et que soutenue elle-même par Monseigneur et par cette terrible cabale qui vouloit perdre Mgr le duc de Bourgogne, et qui ne le pouvoit sans la perdre elle-même, irritée sur l’un par le désir de gouverner, sur l’autre par la même cause et par la passion qui s’y étoit jointe contre elle, depuis qu’elle avoit pour le présent fait avorter ses desseins et perdu leur instrument principal, sa belle-soeur deviendroit un espion dangereux dans le plus intérieur de son sein, par qui les choses les plus innocentes seroient tournées en poison : une rivale cuisante et dominante, à qui tout droit par la considération de l’avenir, une égale avec laquelle il faudroit se mesurer et compter en toutes choses ; épouse enfin du fils favori dont la vie libre plaisoit par conformité à père et à grand-père, tous deux en gêne avec Mgr le duc de Bourgogne, ses scrupules, ses précisions, sa vie à part et cachée dans le littéral de sa dévotion.

Ces deux grands intérêts qui portoient également sur l’agréable et sur le considérable, sur le présent et sur l’avenir, et tout ensemble sur tout ce qu’il peut y avoir de plus important dans la vie, et dont Mme la duchesse de Bourgogne étoit plus capable d’être touchée qu’aucune autre