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on que j’eusse besoin de tout cela avec eux ? et, à force de les exciter par les plus puissants motifs, je les rendis enfin capables d’entendre à leur plus pressant intérêt. La paresse naturelle mais extrême de Mme la duchesse d’Orléans céda pour cette fois, moins peut-être à ce grand intérêt qu’à la puissante émulation d’une sœur si ennemie, et, ce premier pas fait, elle et moi nous concertâmes pour nous aider de M. le duc d’Orléans.

Ce prince, avec tout son esprit et sa passion pour Mademoiselle, qui n’avoit point faibli du premier moment qu’elle étoit née, étoit comme une poutre immobile qui ne se remuoit que par nos efforts redoublés, et qui fut tel d’un bout à l’autre de toute cette grande affaire. J’ai souvent réfléchi en moi-même sur cette incroyable conduite de M. le duc d’Orléans, dont je ne pouvois allier l’incurie avec le désir, le besoin et tant et de si puissantes raisons qui le poussoient à mettre vivement la main à l’œuvre, sans qu’après lui avoir souvent, longuement et fortement représenté, Mme la duchesse d’Orléans en tiers, toutes les puissantes considérations qui le devoient exciter, il se prêtât ensuite à la moindre démarche, et déconcertoit ainsi tous nos projets. Certainement, quelque peu de suite qu’il eût dans l’esprit, quelque mollesse qui lui fût naturelle, quelque peu capable qu’il fût d’agir effectivement sur un plan, quelque légère et foible que fût sa volonté sur toutes choses, il n’est pas possible de croire que ces défauts causassent en lui une conduite si surprenante, si étrange en elle-même et pour nous si radicalement embarrassante ; et j’ai toujours soupçonné qu’en sachant plus que personne sur son affaire d’Espagne, cette bride non-seulement l’arrêtoit, mais le persuadoit si pleinement qu’elle étoit obstacle insurmontable au mariage dont il s’agissoit, qu’il ne faisoit que se prêter avec nonchalance et par reprises légères à ce dont nous le pressions souvent, certain qu’il se croyoit de l’entière inutilité de toute démarche et de tout soin, sans toutefois