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bien aimer et haïr, que je ne l’ai que trop su toute ma vie. Une seule chose me retenoit, le désir extrême d’un mariage étranger qui, convenable à M. le duc de Berry et à l’État, sauvoit ce rejeton si prochain de la couronne de cette souillure de bâtardise qui me faisoit horreur, et qui ne pouvoit qu’appuyer les bâtards dont le rang m’étoit si odieux.

Dans cette balance de mon esprit, je mis toute mon application à bien examiner les choses, et je vis nettement les menées de Mme la Duchesse, qui saisissoit toutes les avenues, et qui n’oublioit rien pour assurer, hâter, brusquer même le mariage de Mlle de Bourbon. Elle-même avoit fait écarter l’idée d’une étrangère dans l’esprit du roi, qui s’étoit laissé aller à en marquer du dégoût, [parce] que la paix étoit trop éloignée pour différer jusque-là à marier un prince sain et vigoureux, dont le goût pour les femmes lui donnoit du scrupule de ce qui en pourroit arriver, et qui enfin, ennemi de toute pensée de la plus légère et la plus courte contrainte, trouvoit plus commode de choisir dans sa famille qu’au dehors. Je compris donc que, tandis que déçu par le désir et l’espérance d’un mariage étranger, je laisserois couler le temps, celui de Mlle de Bourbon s’avanceroit sourdement et nous tomberoit, et à moi en particulier, un matin sur la tête, qui comme une meule m’écraseroit et froisseroit les princes à qui j’étois attaché, de manière à ne s’en relever jamais. Je vis clairement que je ne pouvois éviter la bâtardise, dès là qu’on étoit réduit à la volontaire nécessité d’un mariage domestique, et ce fut ce qui me détermina à agir.

Cette résolution bien mûrement prise, je repassai dans mon esprit tous les obstacles généraux et particuliers pour m’accoutumer à n’en être point effrayé et pour chercher les moyens de les vaincre. J’en examinai les divers genres ; je les balançai, je les pesai à part et ensemble ; je les pénétrai tous pour me former un plan de conduite pour attaquer à découvert ou en biaisant par à côté, selon leurs diverses natures,