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Duc, je ne pouvois pardonner à Mme la Duchesse ses procédés à mon égard sur l’affaire de Mme de Lussan ; et quelques ménagements que j’eusse saisis pour elle à l’occasion de la mort de M. le Duc, il étoit difficile qu’elle me pardonnât les procédés dont j’avois osé payer les siens, et ma liaison intime avec ce qu’elle et sa cabale haïssait le plus, cabale qui avoit pris pour moi la plus grande aversion depuis les choses de Flandre, et d’Antin seul, que la politique en avoit écarté sur ce périlleux article, aussi attentif à me nuire et pour les choses passées et pour mes liaisons toutes opposées à lui. Je redoutois déjà assez la situation présente de Mme la Duchesse avec Monseigneur, combien plus après le mariage de leurs enfants, qui la porteroit à une grandeur et à une autorité auprès de lui sans bornes pour le présent, et pour le futur, arriveroit par un autre biais à ce que la cabale avoit tâché par les attentats de Flandre, et du même coup écraseroit M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans et moi, tant d’avec eux que d’avec Mgr le duc de Bourgogne, que de mon chef personnellement.

En même temps je considérois que si Mademoiselle étoit préférée, le crédit et la faveur de Mme la Duchesse se pouvoient balancer auprès de Monseigneur ; et qu’en prenant dès ce règne de bonnes et sages mesures pour l’avenir, il n’étoit pas impossible de faire avorter ses grandes espérances de gouverner, et par l’union des enfants de Monseigneur embarrasser cette redoutable cabale qui s’étoit déjà montrée avec une audace si criminelle, et la réduire même sous les fils de la maison. Je me trouvois ainsi dans la fourche fatale de voir dès maintenant, et plus encore dans le règne futur, ce qui n’étoit le plus contraire, ou ceux à qui j’étois le plus attaché, sur le pinacle ou dans l’abîme, avec les suites personnelles de deux états si différents, sans compter le désespoir ou le triomphe, et la part que je pouvois avoir à parer l’un et à procurer l’autre. Il n’en falloit pas tant pour exciter puissamment un homme fort sensible et qui savoit si