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son temps et qui le veut mieux employer. D’un autre côté, il ressembloit fort à ces jeunes séminaristes qui, gênés tout le jour par l’enchaînement de leurs exercices, s’en dédommagent à la récréation par tout le bruit et toutes les puérilités qu’ils peuvent, parce que toute autre chose de plaisir est interdite dans leurs maisons. Le jeune prince étoit passionnément amoureux de Mme la duchesse de Bourgogne ; il s’y livroit en homme sévèrement retenu sur toute autre, et toutefois s’amusoit avec les jeunes dames de leurs particuliers, souvent en séminariste en récréation, elles en jeunesse étourdie et audacieuse. On trouvera donc dans cette courte exposition les raisons de bien des traits du Discours qu’on vient de lire, qu’on ne comprendroit pas aisément sans cet éclaircissement, et surtout celle qui m’a fait étendre en raisonnement de piété, pour tourner un peu plus au monde la piété de ce prince qui n’étoit pas susceptible d’écouter, bien moins de se rendre, par d’autres raisons que par celles de la piété même.

Ses deux premières campagnes lui avoient été extrêmement favorables, en ce que, étant éloigné des objets de son extrême timidité et de celui de son amour, il étoit plus à lui-même et se montroit plus à découvert, délivré des entraves de la charité du prochain par les matières de guerre et de tout ce qui y a rapport, qui, dans le cours de ces campagnes, faisoit le sujet continuel des discours et de la conversation ; tellement qu’avec l’esprit, l’ouverture, la pénétration qu’il y fit paroître, il donna de soi les plus hautes espérances. La troisième campagne lui fut funeste, comme je l’ai raconté en son lieu, parce qu’il sentit de bonne heure, et toujours de plus en plus, qu’il avoit affaire, chose également monstrueuse et vraie, à plus fort que lui à la cour et dans le monde, et que l’avantageux Vendôme, secondé des cabales qui ont été expliquées, saisit le foible du prince, et poussa l’audace au dernier période. Ce foible du prince fut cette timidité si déplacée, cette dévotion si mal entendue