Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/205

Cette page n’a pas encore été corrigée

peut être assez comprise, m’a forcé d’aller aussi avant que je fais, et que je n’ai au moins pu me dispenser de faire.

C’est cet amour de l’ordre qui conserve à chaque état ce qui lui appartient, non par attachement, par goût, par amour-propre, mais par respect pour la volonté de Dieu énoncée par la parole muette mais toujours existante des devoirs respectifs des divers états, et par amour pour cette justice distributive qui doit veiller sans cesse, qui est tant recommandée à ceux qui se trouvent revêtus de puissance et sans laquelle toute l’harmonie des états se défigure et se renverse peu à peu d’une étrange manière et jusqu’à un point pernicieux. La négligence de le maintenir remarquée dans un prince, par quelque considération que ce soit, devient bientôt un mobile puissant de trouble qui dégénère en destruction ; et il n’est point de motif, pour saint qu’il soit en soi, qui y puisse servir d’excuse devant Dieu ni devant les hommes. Mais il faut mettre des bornes à l’abondance et à l’importance de cette matière, qui est intarissable, et qui se présente presque à tous moments à un grand prince par les occasions continuelles de méditation et de pratique.

Une des choses du monde que doit le plus soigneusement éviter un prince destiné à régner est l’opinion parmi les autres, que, frappé trop fortement de quelque chose, il ne mesure toutes ses connoissances et tous ses choix que là-dessus, et que l’impression que le monde a reçue de la grande dévotion de Mgr le duc de Bourgogne, ne continue à le persuader que ce prince ne juge de l’aptitude et de la capacité même des hommes que par ce qu’il leur croit de piété, et qu’il ne préfère un homme de bien pour tout emploi, sans nulle autre raison que celle de sa vertu. Il suffit de présenter cette pensée toute nue pour en faire apercevoir les suites funestes en réalité, si cette opinion étoit fondée, et que l’exécution en fût réelle, ou même, étant fausse, qu’elle ne cessât point de prévaloir parmi les