Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/202

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pas devant Dieu, et qui la rehausseroit infiniment devant les hommes en les rendant capables de l’admirer et de l’aimer avec transport, affranchie alors de ces rides austères, de ces presque involontaires froncements, de cette gêne de précisions qui ne sont pas la vertu, et qui, entées sur elle, font tout fuir en sa présence, et creusent chez les hommes qui en dépendent les plus profondes dissimulations. Elles y sèment une horrible et abondante hypocrisie, et toutes les autres si dangereuses transformations qu’opèrent l’intérêt et l’ambition dans les courtisans et dans ceux qui veulent ou arriver, ou au moins plaire. De là s’élève un mur entre le prince et les hommes, qui devient d’autant plus impénétrable, que sa nature, la plus épaisse de toutes, se trouve aidée de cette crainte de blesser la charité qui supprime avec sécurité tous moyens de percer les masques, par quoi périt avant de pouvoir naître cette double connoissance des hommes, devoir toutefois si grand et si principal d’un prince.

Mais il ne me suffit pas d’avoir tâché d’expliquer l’excellence et la nécessité du devoir d’un prince de connoître les hommes, si je ne m’efforce de représenter aussi l’excellence et la nécessité du devoir d’un prince de se faire connoître aux hommes, ce qui n’a pu jusqu’ici être assez fortement touché. Il n’est personne qui ne convienne que, de l’idée qui se conçoit d’un prince par l’effet des regards curieux qui le percent et des réflexions que l’application y ajoute, ne se forment toutes les démarches d’une cour, et par elle d’un État, qui ont rapport à lui en quelque genre que ce puisse être, que chacun ne s’anime ou ne se ralentisse à bien faire sur la mesure (je parle du gros qui est l’important), sur la mesure d’utilité ou d’inutilité qu’il y voit pour son intérêt, et qu’il ne s’accoutume au travail, ou ne se contente de l’apparence suivant ce qu’il juge qu’il faut ou qu’il suffit ; que mesurant son respect et son zèle sur ce qu’il pense du prince, l’un et l’autre ne soit vif ou éteint, et leurs effets de