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prendre garde de trop près à ce qui forme le tissu de sa vie ; et tout grand, tout sublime, tout au-dessus qu’il puisse être du commun des hommes par des vertus extraordinaires, il doit ménager leur faiblesse en s’abaissant à garder quelque proportion avec eux, et puisqu’il est appelé à être un jour l’image de Dieu, il ne doit pas dédaigner de voiler sa face devant eux, de peur que l’éclat de la lumière dont elle brille ne les épouvante, et ne les fasse mourir, comme il est écrit que pour cette raison Dieu même s’est voilé ainsi en se découvrant à quelques-uns de son peuple ; et comme Dieu n’y perdit rien de son immutabilité, le prince aussi, par cette sage et nécessaire condescendance, ne doit pas craindre aucun affaiblissement de ses vertus.

Ainsi donc une assiduité moins exacte à l’office divin, tous les dimanches et toutes les fêtes de l’année, n’ôteroit rien devant Dieu à Mgr le duc de Bourgogne des chastes délices qu’il trouve à ouïr chanter ses louanges, et en se rapprochant plus de l’ordinaire des hommes, il les rendroit plus capables d’admirer en lui les choses principales qui forment l’essence de la religion. Ainsi une fuite moins rigoureuse de certaines fêtes qui, dans tous les siècles, ont été nécessaires pour l’amusement et la majesté des grandes cours, rendroit en lui la piété plus aimable, je n’ose dire moins terrible. Ainsi un front plus serein, un air plus aisé, quelque chose de plus leste en de certaines occasions, dilateroient les cœurs que la vue du contraire resserre avec crainte. Ainsi un art plus onctueux et plus doux d’allier la haute piété avec les bienséances de l’âge et du rang, avec les convenances de grand prince, dirois-je de fils, en quelques rencontres, ajouteroient au mérite de l’intention de la victoire sur les répugnances, celui de la conformité à son état, de la douce et charitable condescendance pour les autres, de ce voile enfin sur la splendeur de sa face que les hommes supportent si difficilement sans cela, pour ne pas dire qu’ils ne le peuvent, et donneroit à la vertu une grâce et une douceur qui ne la raboisseroit