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pour lui, que cette conduite lui feroit croire avoir été bien fondés, avec une satisfaction d’autant plus utile qu’il se trouveroit affranchi du reproche qu’il s’étoit fait à lui-même d’avoir été la dupe d’une amitié qui n’étoit pas, et se trouveroit flatté en sa partie sensible de voir son neveu se jeter entre ses bras pour le délivrer d’un lien qu’il n’avoit pas la force de briser soi-même, tandis qu’il se souviendroit, avec ce retour satisfaisant d’amour-propre, que ce sacrifice se seroit fait uniquement à lui ; que de ces favorables dispositions naîtroient aisément en lui l’opinion que toutes les fautes, les plus graves imputations, les curiosités condamnables et suspectes, que l’affaire d’Espagne étoient les suites, les fautes, les effets d’une passion si forte et d’un si violent amour, dont toute la faiblesse lui étoit montrée par la manière de s’en arracher, qui le flatteroit encore.

M. le duc d’Orléans n’eut pas la patience d’en entendre davantage sans m’interrompre. « Quoi ! me dit-il, vous voulez que je la charge (Mme d’Argenton) de toute l’iniquité qu’on m’a imputée, et que j’en sorte à ses dépens ? Et n’est-ce pas assez de rompre, si je m’y résous, sans la livrer encore ? outre que ce seroit injustement sur les affaires d’Espagne, auxquelles elle n’a eu aucune part ; et pardonnez-moi si je vous dis que je m’étonne que ce soit vous qui m’ouvriez une telle porte. — L’amour vous aveugle, monsieur, lui répondis-je, et vous fournit une délicatesse que je vous avoue que je ne crains pas de combattre, pourvu que, sur un point qui vous est si capital, vous veuillez bien m’écouter avec défiance de vous-même. Vous sentez que je veux faire de Mme d’Àrgenton le bouc émissaire de l’ancienne loi, et vous, vous vous en hérissez comme d’une proposition qui vous flétriroit. Je ne me défends pas que ce ne soit mon dessein, M. le maréchal sera notre juge. » M. le duc d’Orléans s’écria encore et pressa le maréchal de parler, qui, après plusieurs circuits pour ne rien dire, prononça