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les fruits ; qu’il ne pouvoit plus vivre ainsi dans sa disgrâce, si coupable à ses propres yeux ; qu’il se jetoit donc entre ses bras avec son ancienne confiance en ses anciennes bontés, pour qu’il lui pardonnât tous les déplaisirs que ses désordres lui avoient causés, et pour qu’il aidât sa faiblesse à se tirer d’un engagement, qu’il sentoit qu’il ne pouvoit rompre et qu’il le supplioit de briser ; qu’il lui demandoit de profiter de cet instant qu’une lueur de raison et de devoir l’avoit saisi, et de faire ordonner à Mme d’Argenton de sortir de Paris, afin que, secouru par l’absence, il pût soutenir sa résolution et le pas qu’il faisoit pour sortir des abîmes où l’amour l’avoit précipité. J’ajoutai que, parlant de la sorte à un oncle qui l’avoit tendrement aimé, et qui lui en avoit donné toutes sortes de marques, à un beau-père outré du malheur de sa fille dont par là il verroit la fin, à un roi aisément pris par la confiance, à un homme d’expérience trop funeste de la puissance et des fruits de l’amour passionné, il le toucheroit tellement par toutes ces choses à la fois, qu’en un instant il feroit de lui le père de l’enfant prodigue ; que je savois d’ailleurs qu’une des choses du monde qui avoit le plus outré le roi contre lui dans l’affaire d’Espagne étoit la tendre amitié qu’il s’étoit toujours sentie pour lui, et qu’il avoit espérée réciproque par un air de liberté avec lui qu’il avoit remarquée et sentie infiniment plus que dans ses enfants, et qui lui avoit extrêmement plu ; que le dépit de se voir trompé dans une pensée qui lui étoit douce l’avoit horriblement piqué contre lui ; qu’il s’en étoit une fois entre autres expliqué ainsi à Mme de Maintenon, en entrant chez elle plein de la chose, les lèvres lui tremblant de colère en lui faisant ces plaintes, et lui parlant de cela comme d’un malheur extrêmement sensible ; qu’un recours au roi, tendre, touchant, confiant, avouant tout sans rien dire, et cachant sous le voile de son embarras tout ce qu’il n’étoit ni bon ni à propos d’expliquer, auroit la force de faire renaître dans le roi ses premiers sentiments