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été présenté à cultiver, et duquel, aidé par la plus habile main en tout genre et singulièrement formée par le ciel pour l’art d’instruire un prince, vous avez heureusement formé celui-ci à tout ce qu’on en pouvoit attendre pour réparer les profonds malheurs du plus beau royaume de l’Europe, destiné à lui obéir un jour. La nature, qui se plaît à mille jeux différents, avoit mêlé son tempérament d’une ardeur qui, dans la jeunesse d’un prince de ce rang, avoit paru longtemps redoutable ; mais la grâce, qui se plaît aussi à dompter la nature, a tellement opéré en lui, que son ouvrage peut passer pour un miracle, par l’incroyable changement qu’elle a fait en si peu de temps, au milieu des plus impétueux bouillons de la jeunesse ; et à travers tous les obstacles sans nombre que l’âge, le rang et la situation particulière qui, raffermie par plusieurs années, sans qu’aucun de tous ces dangereux obstacles, toujours subsistants, aient pu l’entamer, ôte toute inquiétude sur sa durée et sa solidité. Dans cet état il n’y auroit rien à désirer, si tout ce qu’il y a de grand, de rare, de merveilleux, d’exquis en lui en tout genre, se montroit aussi à découvert qu’il lui seroit aisé de le faire, et si des bagatelles laissées aux plus grands hommes pour faire souvenir lés autres qu’ils ne sont que des hommes, et les préserver de l’idolâtrie, paraissoient moins. Je ne m’arrêterai donc pas à vous faire un portrait de ce prince, qui surpasseroit les forces des meilleurs peintres, et qui vous est si parfaitement connu. Je me contenterai seulement d’en toucher quelques traits, lorsque la matière m’y obligera pour la mieux éclaircir et pour mieux exposer à vos yeux le fond de mes pensées, par rapport aux choses en elles-mêmes et par rapport aux sentiments du monde dans lequel la nécessité et la triste oisiveté de mon