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nouvelle chapelle qui étoit achevée, ils allèrent la voir et y menèrent Fornaro avec eux.

Ce Fornaro étoit un prétendu duc sicilien de beaucoup d’esprit, que M. de La Feuillade avoit ramené avec lui de Sicile, où il n’avoit osé retourner depuis l’amnistie, parce qu’il étoit accusé d’avoir empoisonné sa femme. Il demeura chez M. de La Feuillade tant qu’il vécut, suivant son fils dans sa jeunesse comme un gouverneur, et je l’ai vu chez moi avec lui sur ce pied-là ; et néanmoins, il tiroit quelque chose du roi, que M. de La Feuillade lui avoit fait donner. Après la mort de M. de La Feuillade, il trouva moyen de se fourrer chez M. de La Rochefoucauld, mais sans loger chez lui ; et ce fut là, dont il ne bougea, qu’il commença à faire l’homme de qualité. Il dessinoit en perfection, et il avoit beaucoup de connoissance de l’architecture, et un goût exquis pour toutes sortes de bâtiments, surtout pour les grands édifices. Il fit un degré charmant à Liancourt dans un emplacement où on n’en avoit jamais pu mettre, même un vilain. Cela lui donna de la réputation, M. de La Rochefoucauld s’en engoua et le prôna. Il le fit aller à Marly, et sur la liste comme les autres courtisans. Le roi lui parloit quelquefois de ses bâtiments et de ses fontaines, au point que Mansart en prit jalousie et peur. Il fut accusé de rapporter, et en effet, M. de La Rochefoucauld le chassa de chez lui pour quelque chose qui avoit été dit entre trois ou quatre personnes, dont aucune autre que Fornaro ne pouvoit être soupçonnée, et que le roi sut et reprocha à M. de La Rochefoucauld, et tout de suite doubla la pension de Fornaro, qui demeura à Versailles mieux avec le roi que devant, et allant plus souvent à Marly, mais fui et méprisé de tout le monde.

M. de Metz, allant donc voir la nouvelle chapelle avec ces messieurs, comme je l’ai dit, et Fornaro pour voir ce qu’il en jugeroit et la mieux considérer avec lui, aigri des affaires d’Orléans, et frappé de la quantité, de la magnificence et de l’éclat de l’or, des peintures et des sculptures, ne put s’empêcher