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qui avoit compté aussi et qui vit le partage, se met à regarder les présidents à mortier, à leur dire qu’il y a partage, puis à remontrer à la compagnie l’indécence de cet inconvénient dans un tribunal comme la grand’chambre ; qu’il falloit tâcher de se réunir à une opinion ; que la sienne étoit de compenser les dépens ; et qu’il alloit reprendre les voix. Pendant qu’on opinoit, le duc de Coislin crevoit de rire, et moi de l’exhorter à se contenter du plaisir qu’il s’étoit donné et de ne pas pousser l’affaire à bout. Jamais il n’y voulut entendre, bien résolu de changer d’avis ou non, suivant que cela serviroit au partage. Il fut encore de l’avis de Le Meusnier, le duc de Sully et moi de celui du rapporteur, le premier président aussi ; et encore partage.

Voilà le premier président fort fâché qui harangua près d’un quart d’heure, qui tâcha de piquer d’honneur messieurs d’éviter la honte de s’aller faire départager aux enquêtes, qui dit qu’il va reprendre pour la troisième fois les avis, et que, pour abréger, parce que les raisons sont suffisamment entendues, il suffira que chacun opine qu’il est de l’avis du rapporteur ou de Le Meusnier. Le diable voulut que le partage subsistât, quoique plusieurs conseillers eussent changé d’avis suivant qu’ils comptoient jusqu’à eux pour éviter le partage, et toujours M. de Coislin pour payer les dépens. Le malheur fut qu’avec une voix de plus pour Le Meusnier il n’y avoit plus partage. Harlay, qui l’avoit bien compté et qui regardoit noir le duc de Coislin, dont la seule voix fit en dernier lieu ce désordre, exposa le cas à la compagnie, tâcha de la toucher en faveur des parties perdantes, à qui une seule voix coûteroit un partage injurieux pour la compagnie, ou quarante mille livres de plus. Il eut beau dire, personne ne répondit à ses semonces réitérées, tellement que, comme il vit qu’il falloit enfin prononcer, il préféra l’honneur prétendu de la grand’chambre à la bourse de ces pauvres parties, dit que pour éviter le partage, il revenoit à l’avis de Le Meusnier et prononça l’arrêt avec la condamnation