Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1856, octavo, tome 8.djvu/165

Cette page n’a pas encore été corrigée

et c’est l’unique fois que j’y aie été sans nécessité. M. de Foix, qui étoit paresseux et qui passoit les nuits en compagnie, n’y vint point, de sorte que je m’y trouvai assis entre les deux beaux-frères.

Le Nain, doyen alors du parlement, et un des plus estimés pour sa probité, son exactitude et ses lumières, rapporta un procès considérable où il y avoit pour quarante mille francs de dépens qu’il conclut à compenser ; les premiers avis furent conformes à celui du rapporteur. C’étoit à huis clos, à la petite audience ; ainsi nous entendions tout parce qu’on opinoit de sa place sans se lever. Le Meusnier, vieux conseiller, clerc aussi fort habile, mais de réputation plus que louche, ouvrit l’avis de faire payer les dépens. Plusieurs le suivirent et d’autres non, car pour le fond du jugement il fut tout d’une voix de l’avis du rapporteur. Voilà le duc de Coislin qui se met à rire et à me dire qu’il faut faire un partage, et que cela sera plaisant de voir la grand’chambre s’aller faire départager à une chambre des enquêtes. Je crus qu’il plaisantoit, mais comme je le vis attentif à suivre et à compter les voix de part et d’autre et à me presser de partager, c’est-à-dire de prendre l’opinion la moins nombreuse, je lui demandai s’il n’avoit point de honte de vouloir coûter quarante mille livres à des gens, pour se divertir ; qu’ignorants comme nous l’étions, il falloit aller à l’avis le plus doux, surtout avec la garantie d’un homme exact, éclairé et intègre comme étoit Le Nain., qui avoit bien examiné l’affaire. Il se moqua de moi et dit toujours que cela seroit plaisant et qu’il ne le manqueroit pas. De pitié pour ces parties, dont nous ne connoissions aucune, je m’assurai du duc de Sully, qui blâma son beau-frère et qui convint avec moi qu’il seroit pour compenser les dépens. Nous opinâmes les derniers, et tous trois tînmes parole. Le duc de Coislin, qui par son calcul avoit vu qu’il partageroit en prenant l’avis de Le Meusnier, en fut. Je me rangeai après à celui de Le Nain, et après moi le duc de Sully. Le premier président Harlay,