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nasse sans la partager avec lui. Voici donc ce qui arriva. De l’un à l’autre, on ne tarda pas à savoir les sentiments de Monseigneur et Mgr le duc de Bourgogne. Eux-mêmes comblèrent une si terrible faute en ratifiant ce qu’on en disoit, jusque-là qu’il échappa à la pauvre Mme la duchesse de Bourgogne, que ce rang ne tiendroit pas sous Monseigneur, et moins encore, s’il se pouvoit, sous eux quand ils seroient les maîtres. La cour, suffoquée du silence qu’elle avoit gardé d’abord, sentant un tel appui, se lâcha au murmure, et en un moment le murmure devint général, public et fort peu mesuré. Tout fut coupable d’après les deux héritiers de la couronne. Ainsi, personne ne craignant le châtiment par l’universalité des complices, la licence alla fort loin.

Le roi étoit trop appliqué à être informé des moindres choses pour ignorer ce déluge de discours, beaucoup moins le chagrin de Monseigneur et de Mgr le duc de Bourgogne, malgré tout ce qu’il avoit employé de si nouveau auprès d’eux ; le sombre et le repentir le saisirent. M. du Maine en trembla et Mme de Maintenon avec lui, qui le virent au moment de rétracter ce qu’il venoit de faire. Ils se mirent donc hardiment à faire contre, à vanter au roi l’obéissance même intérieure qu’il s’étoit acquise, jamais mieux marquée que par l’empressement de la foule à lui faire des compliments, par la joie que tout le monde marquoit de la grâce qu’il venoit de faire, et les applaudissements publics qu’elle recevoit. Avec cet artifice, il [M. du Maine] profita des hommages arrachés à une cour esclave, en flattant le roi sur ce qui lui étoit le plus sensible, et le mit à ne savoir plus que croire.

Le lendemain de mes visites aux bâtards, et trois jours après la déclaration, j’allai le matin chez Mme de Nogaret, qui m’avoit envoyé dire qu’elle avoit un mot à me dire dans la matinée. Je fus bien étonné quand elle me dit que Mme la duchesse de Bourgogne l’avoit chargée de savoir de moi, et de sa part, à découvert, ce qui formoit ma liaison si intime